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Kinshasa
21 novembre, 2024 - 22:57:23
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L’équinoxe du 4 janvier 1959 à Léopoldville

J’avais une dizaine d’années lors des émeutes du 4 janvier 1959 à Léopoldville (Kinshasa). Mais, grâce aux récits de mes frères aînés (récits saupoudrés de succulence et de rumeurs poivre-sel!), j’ai pu reconstituer des bribes significatives de cette journée historique. …

C’était un dimanche pas comme les autres. Un dimanche juste après les festivités flamboyantes de fin d’année, comme les Kinois savent les animer depuis toujours. En plus, ce dimanche-là, si mes souvenirs sont fidèles, deux faits avaient fait vibrer la ville : d’une part le match de football MIKADO-V.CLUB; et d’autre part le meeting avorté de Joseph Kasa-Vubu, président du puissant ABAKO (Alliance des Bakongo)et qui détenait une suprématie indiscutable sur Léopoldville.

Deux faits saillants sous forme de deux défaites : la défaite inattendue du très populaire V. Club, et l’annulation du meeting du très populaire Kasa-Vubu, meeting programmé sur la Place YMCA au quartier Renkin (Matonge). Au sortir du Stade Roi Baudouin (Tata Raphaël), la foule des supporters déçus s’est mêlée, comme un augure fatal, à celle des adeptes abakistes en colère.

C’est l’explosion, le feu de brousse, «l’équinoxe de janvier», comme le surnommera plus tard un journaliste belge. Le feu de brousse a aussitôt gagné les quartiers populaires de la «Cité Indigène» : le rond-point Victoire et la place YMCA au quartier Renkin (Matonge), Foncobel, Kinshasa, Saint-Jean (Lingwala), Kintambo, tout ça pris d’assaut par des hordes endiablées. Mais, ingrédients insolites et particulièrement inflammables : tout symbole qui portait de près ou de loin l’image de la colonisation était systématiquement pillé ou saccagé : les poteaux indicateurs, les écoles et les églises Saint-Pierre et Saint-Paul notamment, le site de loisirs et la piscine Funa (fréquentés essentiellement par les Belges). Et la casse a été si brutale et spontanée que cela a donné lieu à des rumeurs et à des légendes sulfureuses : que les émeutiers étaient constitués en majorité des revenants d’outre-tombe nantis de forces inouïes et mystiques; que des religieuses blanches auraient été violentées ; que les objets et les insignes sacrés des églises auraient été profanés au point que des manifestants enflammés se seraient même affublés de soutanes pour récupérer leur magie intrinsèque. La situation avait aussitôt dérapé en invectives et en slogans anticolonialistes, et au nom de l’»indépendance immédiate» (déformée en créole kinois par «dipanda mediate» !) C’est alors que la Force Publique est entrée en action, avec fermeté, armée de pied en cap. C’est alors que les leaders de l’Abako (Kasavubu, Kanza Daniel, Pinzi Arthur, Diomi Gaston, Kingotolo, Nzeza Nlandu…) ont été interpellés et traduits en justice. D’autres rumeurs et mythes sont également nés à partir de là : la traque improductive contre Kasa-Vubu en fuite et ses réapparitions sporadiques et mystiques jusqu’à son arrestation laborieuse.

La punition pénitentielle des chrétiens soi-disant maudits, parmi ceux qui avaient volé et profané les objets sacrés des églises ( on en aurait vus en train de vomir du sang pour avoir avalé les osties comme de soi-disant vulgaires païens impénitents et impertinents …D’autres soi-disant renégats seraient devenus fous…). Les événements vont alors courir de plus en plus vite et de façon presque immaîtrisée par l’administration coloniale belge. Les leaders Abako finiront par être libérés. Et le 13 janvier 1959, le Roi des Belges prononcera une allocution historique, lançant pour la première fois le projet de l’indépendance du Congo, mais « sans précipitation funeste, et sans atermoiement inconsidéré». Réponse des partisans de l’Abako, alors le parti politique congolais le plus radical, et en même temps le plus populaire dans la Province de Léopoldville: «Beto katu vota ko mu déclaration gouvernementale. Beto : kaka dipanda «mediate»). On connait la suite : la tenue en catastrophe de la Table- ronde de Bruxelles (20 janvier-21 février 1960), la libération en catastrophe de Patrice Lumumba et son acheminement à Bruxelles comme participant à part entière aux assises, l’annonce en catastrophe de la date de l’indépendance du Congo, le 30 juin 1960…

Yoka Lye

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