L’annonce par William Ruto de la tenue d’un sommet extraordinaire de l’EAC sur la crise entre la RDC et le Rwanda suscite de vives interrogations. Pourquoi cette organisation régionale, aux résultats jusqu’ici peu probants dans ce dossier, réussirait-elle là où le processus de Luanda, sous la médiation du président angolais João Lourenço, a échoué ? Perçue par certains comme une tentative de Kigali pour éclipser les avancées angolaises, cette initiative place Félix Tshisekedi devant un dilemme crucial. Participer au sommet pourrait revenir à légitimer un cadre biaisé en faveur du Rwanda, tandis qu’un boycott serait un acte fort de défense de la souveraineté congolaise et une façon d’exiger le respect du processus de Luanda, seul cadre légitime validé par l’Union africaine pour une paix durable.
La gestion de la crise entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda demeure un théâtre complexe où s’entrelacent enjeux régionaux, intérêts internationaux et tensions historiques. Le processus de Luanda, qui avait suscité un espoir timide de normalisation des relations entre Kinshasa et Kigali, a été délibérément torpillé par le Rwanda, révélant une stratégie qui privilégie la manipulation et la force au détriment du dialogue sincère.
Le sabotage du processus de Luanda
Après des mois de négociations laborieuses, l’accord de paix prévu à Luanda en décembre, visant à consacrer le retrait des forces rwandaises et la fin des activités du M23 en RDC, a été bloqué par Kigali. Paul Kagame, en refusant de se rendre à Luanda pour la signature, a invoqué un préalable fallacieux : un dialogue direct entre Kinshasa et les rebelles. Cette exigence, interprétée comme une tentative de légitimer le M23, a mis en lumière l’objectif sous-jacent de Kigali : consolider sa mainmise sur le Nord-Kivu sous couvert de négociations.
La réponse de la diplomatie congolaise, par le biais de la cheffe de la diplomatie, a été cinglante. Elle a dénoncé les mensonges récurrents de Kigali, un gouvernement dont l’appareil repose sur une politique de déni, de dissimulation et de mépris des droits humains. Le Rwanda, en qualifiant d’« actions défensives » des crimes de guerre documentés, perpétue une hypocrisie insoutenable. Cette attitude s’accompagne d’un mépris non seulement envers ses voisins, mais aussi envers sa propre population, tenue dans l’ignorance des guerres menées dans l’ombre.
L’initiative controversée de l’EAC
Dans ce contexte, l’annonce par le président kényan William Ruto de la tenue d’un sommet extraordinaire de l’EAC sur la crise RDC-Rwanda soulève des interrogations légitimes. Pourquoi l’EAC, une organisation qui a jusqu’ici montré des limites flagrantes dans la gestion de ce conflit, réussirait-elle là où le processus angolais a échoué ?
Pour de nombreux observateurs, cette initiative est perçue comme une tentative de Kigali pour saborder définitivement le cadre de Luanda. En déplaçant le débat vers une enceinte où il peut espérer un arbitrage plus favorable, le Rwanda cherche à gagner du temps tout en maintenant ses avancées militaires sur le terrain.
Félix Tshisekedi se trouve ainsi face à un dilemme crucial. Participer à ce sommet reviendrait à cautionner une manœuvre orchestrée pour diluer les efforts de paix réels. À l’inverse, boycotter cette rencontre serait un acte fort de défense de la souveraineté congolaise et une manière de réaffirmer que la RDC ne peut se plier à des arrangements biaisés.
Une réalité géopolitique transformée
La RDC d’aujourd’hui n’est plus celle des années 1990, où la population, lasse de Mobutu, avait facilité l’entrée des forces rwandaises via l’AFDL. Trois décennies d’exactions, de pillages et de massacres dans l’Est du pays ont forgé une conscience nationale aiguisée. Le patriotisme congolais, exprimé par des manifestations massives comme celles observées à Bukavu le 27 janvier, est désormais une barrière infranchissable pour toute tentative d’instrumentalisation extérieure.
Cette mobilisation populaire met en échec les ambitions de figures comme Corneille Nangaa ou Bertrand Bisimwa, et de leur mentor Paul Kagame. Si le M23 persiste dans son entreprise, il devra affronter non seulement l’armée congolaise, mais aussi une population déterminée à défendre chaque parcelle de son territoire.
Face à ce contexte, la sécurité du Président Tshisekedi revêt une importance capitale. Les précédents historiques, notamment l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en 2001, rappellent que le Rwanda ne recule devant aucune action pour atteindre ses objectifs. Il ne s’agit pas ici de la guerre de Tshisekedi, mais de celle de toute une nation décidée à préserver son intégrité territoriale.
La vigilance est donc de mise, tant sur le plan diplomatique que sécuritaire. La RDC doit continuer à privilégier ses alliances stratégiques, tout en demeurant ferme face aux manœuvres dilatoires de Kigali. Le boycott du sommet de l’EAC serait un signal fort, non seulement pour le Rwanda, mais aussi pour la communauté internationale, affirmant que le Congo ne cédera pas sous la pression.
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