Dans son discours prononcé à Paris lors de la Conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs, Félix-Antoine Tshisekedi a livré un appel vibrant à la communauté internationale. Face à une tragédie humanitaire sans précédent dans l’Est de la République démocratique du Congo, le président congolais a exigé des actes concrets : ouverture d’un corridor humanitaire aérien, financement massif de l’aide d’urgence et application immédiate de la Résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui ordonne le retrait des troupes du M23 et des forces rwandaises. “La paix ne peut se construire sur l’occupation”, a martelé le chef de l’État, plaidant pour une mobilisation morale et politique mondiale à la hauteur du drame humain. Au-delà de l’urgence, il a esquissé une vision d’avenir : un Congo reconstruit, solidaire, et une région des Grands Lacs enfin unie par la prospérité plutôt que par la prédation.
DISCOURS DE SON EXCELLENCE MONSIEUR FELIX-ANTOINE TSHISEKEDI TSHILOMBO, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, A LA CONFERENCE DE SOUTIEN A LA PAIX ET A LA PROSPERITE DANS LA REGION DES GRANDS-LACS
Monsieur le Président de la République française ;
Monsieur le Président du Conseil du Togo,
Médiateur de l’Union africaine pour la région des Grands Lacs ;
Monsieur le Président de la République du Burundi ;
Mesdames et Messieurs les représentants de Chefs d’État et de gouvernement ;
Mesdames et Messieurs les représentants des Nations Unies, de l’Union africaine, des organisations régionales ;
Mesdames et Messieurs les partenaires techniques et financiers ;
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais, au nom du peuple congolais, saluer la tenue de cette Conférence ici à Paris, aux côtés du Togo, médiateur mandaté par l’Union africaine pour la région des Grands Lacs, et en étroite coordination avec les États-Unis d’Amérique, le Qatar et l’Union africaine, qui accompagnent les efforts de médiation et de désescalade.
Votre présence est un acte politique, mais aussi — et surtout — un acte moral. Elle signifie que la souffrance humaine qui ravage l’Est de la République Démocratique du Congo n’est pas ignorée. Elle signifie que la paix et la dignité des peuples des Grands Lacs engagent la communauté internationale tout entière.
Car si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est d’abord pour répondre à une triple urgence : l’urgence humanitaire, l’urgence sécuritaire et, plus encore, l’urgence de la paix.
Mais notre responsabilité va au-delà de la gestion de l’immédiat. Il s’agit de jeter les bases d’une stabilité durable, fondée sur trois piliers indissociables : la protection des populations civiles, la recherche d’une paix juste, et l’intégration économique régionale comme moteur d’une prospérité partagée — à la condition qu’elle s’exerce dans un environnement apaisé, sans heurts et sans affrontement.
Mesdames et Messieurs,
Depuis plus de trente ans, l’Est de la République Démocratique du Congo saigne d’une plaie qui n’a jamais été refermée. Ce n’est pas une crise passagère. C’est une tragédie prolongée, qui a déplacé des millions de femmes, d’hommes et d’enfants, détruit des vies, brisé des familles, affaibli le tissu social et compromis l’avenir de toute une génération. La République Démocratique du Congo fait aujourd’hui partie des pays les plus durement frappés par les déplacements internes, avec des millions de personnes contraintes de fuir les violences, notamment dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Cette situation dramatique est aggravée par la dégradation des infrastructures, l’insuffisance des financements pour l’aide humanitaire et la recrudescence des maladies. Les besoins sont immenses et immédiats : protection des civils, prise en charge psychosociale, accès aux soins de santé, continuité éducative, sécurité alimentaire, accès à l’eau potable et à l’assainissement.
Les données sont accablantes. En 2024, 26 millions de personnes en République Démocratique du Congo étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë, et près d’un enfant sur deux de moins de cinq ans souffrait de malnutrition chronique. À la 45ᵉ semaine épidémiologique de 2024, 445 zones de santé sur 519 avaient déjà rapporté des cas de choléra et/ou de MPOX.
Ces chiffres ne sont pas des abstractions statistiques. Ils décrivent une urgence humanitaire absolue.
La crise humanitaire en République Démocratique du Congo est liée directement à des actions militaires menées par le groupe armé AFC/M23, soutenu sur les plans logistique, financier et opérationnel par le Rwanda, en violation flagrante de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale de mon pays.
Cette réalité est aujourd’hui documentée et reconnue, et elle a été rappelée par la Résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui exige le retrait immédiat et inconditionnel de l’AFC/M23 de toutes les zones qu’il occupe, y compris les centres urbains stratégiques, ainsi que le retrait des forces rwandaises du territoire congolais. Cette résolution n’est pas une opinion diplomatique : elle est un impératif juridique et politique que chacun ici a le devoir de faire respecter.
Mesdames et Messieurs,
Depuis le début de cette année, les violences se sont intensifiées avec une brutalité rarement atteinte. Les offensives menées par l’AFC/M23 dans des zones densément peuplées ont provoqué des affrontements meurtriers et des déplacements massifs. Des villes entières ont été prises, des communautés déracinées, des quartiers vidés de leurs habitants. Les attaques ont visé des camps de déplacés, des hôpitaux, des écoles. Les violences sexuelles et les violences basées sur le genre sont utilisées comme armes de guerre. Des enfants sont recrutés de force. Des convois humanitaires sont pillés. Rien de tout cela n’est acceptable. Rien de tout cela n’est défendable. Rien de tout cela ne peut devenir « la normalité » d’une région à laquelle on demanderait de s’habituer à l’horreur.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et ils sont insoutenables. Des millions de personnes déplacées. Des foyers forcés à l’exil à répétition. Des enfants privés d’école. Des femmes mutilées dans leur corps et dans leur dignité. Des épidémies de choléra, de rougeole, de MPOX, et des flambées de maladies infectieuses dans des zones où les structures sanitaires ont été détruites ou abandonnées. Nous sommes face à une crise humanitaire totale : sanitaire, alimentaire, sociale, psychologique, humaine.
Je veux ici saluer celles et ceux qui, au prix du danger, continuent d’agir : les équipes médicales, les humanitaires, les agents des agences des Nations Unies, les ONG internationales, les ONG locales, les structures communautaires, la société civile, les associations de femmes. À toutes ces femmes et tous ces hommes qui prennent des risques pour sauver des vies, je dis aujourd’hui : la République Démocratique du Congo connaît votre courage, et elle vous en est reconnaissante.
Mesdames et Messieurs,
La première responsabilité de l’État congolais est, et restera, la protection de sa population. Nous assumons cette responsabilité.
Nous avons renforcé l’effort humanitaire national, notamment à travers la mise en place de la Caisse de Solidarité Nationale et de Gestion Humanitaire des Catastrophes, destinée à canaliser de manière transparente les contributions internes et externes, et à garantir que l’aide parvienne aux plus vulnérables.
Aux côtés de l’État congolais, les agences des Nations Unies — en particulier le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) et le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) — ainsi que plusieurs organisations humanitaires, dont le Comité international de la Croix-Rouge et Médecins Sans Frontières, se sont mobilisés pour apporter une assistance vitale aux personnes déplacées, blessées, exposées.
Parallèlement, nous avons mobilisé nos Forces armées afin d’assurer la protection de nos citoyens, tout en réaffirmant notre attachement au strict respect du droit international humanitaire, à la protection des civils, des infrastructures médicales et éducatives, et du personnel humanitaire.
Et à ce propos, permettez-moi de rappeler une exigence fondamentale : le respect des Conventions de Genève ne saurait être optionnel ni circonstanciel. Il doit redevenir une exigence universelle non négociable.
Mais nous savons aussi que, face à l’ampleur du drame, nos propres moyens ne suffisent plus. C’est pourquoi nous sommes ici : pour solliciter une mobilisation exceptionnelle.
Je formule aujourd’hui, devant vous, trois demandes et trois offres.
Ma première demande concerne l’accès humanitaire immédiat, sécurisé, garanti. Nous avons besoin, de toute urgence, de voies humanitaires sûres pour acheminer soins, nourriture, eau, abris et assistance psychologique aux populations prises au piège.
À ce titre, je propose l’établissement d’un corridor humanitaire aérien, strictement encadré, permettant le transport des médicaments, des denrées essentielles et la rotation du personnel humanitaire, y compris vers les zones actuellement les plus exposées. Ce mécanisme, placé sous la responsabilité conjointe des Nations Unies et des autorités congolaises doit être un résultat concret de cette Conférence.
Ma deuxième demande est un plaidoyer pour un financement massif, rapide, traçable. Le Plan de réponse humanitaire des Nations Unies pour l’année 2025 prévoyait une enveloppe de 2,24 milliards de dollars américains destinée à l’assistance vitale de plus de 20 millions de personnes en République Démocratique du Congo, dans un contexte déjà marqué par la fragilité et les besoins chroniques, avant même la reprise des hostilités. Ce plan demeure sous financé. Et chaque jour sans financement, ce sont des vies perdues.
Je demande donc un engagement financier additionnel, ciblé, prévisible, qui permette de traiter les besoins vitaux : santé d’urgence, sécurité alimentaire, abris pour les déplacés, protection des survivantes de violences sexuelles, accès à l’eau potable. Ce financement ne doit pas être vu comme une aide ponctuelle, mais comme un investissement pour empêcher l’effondrement humanitaire d’une région stratégique pour la paix du continent.
Ma troisième demande touche à l’alignement politique. Je souhaite que chaque partenaire présent ici, chaque État, chaque organisation régionale ou internationale, s’engage à soutenir l’application effective de la Résolution 2773 du Conseil de sécurité et à appeler, clairement et sans ambiguïté, au retrait de l’AFC/M23 des zones qu’il occupe et au retrait des forces étrangères du territoire congolais. Toute paix durable commence par la fin de l’occupation d’une partie du territoire congolais. Là-dessus, il ne peut y avoir ni double langage, ni compromis moral.
En contrepartie, la République Démocratique du Congo prend devant vous trois engagements clairs.
Premier engagement : reconstruire. Dès la fin des hostilités, nous lancerons un Plan d’Aide d’Urgence pour la Reconstruction du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Ce plan, que nous concevons comme un pacte national et international, intégrera, dans une approche concertée, coordonnée et cohérente, l’ensemble des programmes et projets destinés à la stabilisation, au relèvement et au développement durable des provinces affectées.
Il visera à mobiliser environ 5 milliards de dollars à l’horizon 2026 pour la réouverture des écoles, la réhabilitation des centres de santé, la reconstruction des routes, le rétablissement des services sociaux essentiels et le retour digne des personnes déplacées. Il ciblera aussi la sécurité alimentaire, car nourrir une famille, c’est déjà commencer la paix. Ce plan sera coordonné, unifié, transparent. Aucun territoire ne sera abandonné. Aucune communauté ne sera laissée en marge.
Deuxième engagement : protéger les plus vulnérables et responsabiliser les auteurs. Nous allons renforcer notre cadre juridique relatif à la protection des déplacés et des victimes de catastrophes humanitaires, notamment par l’intégration en droit national de la Convention de Kampala de l’Union africaine et l’adoption d’un dispositif légal pérenne de financement de l’action humanitaire et de réduction des risques.
Dans cette perspective, une loi sur le financement de l’action humanitaire et la gestion des risques de catastrophes sera prochainement adoptée, afin de doter le Gouvernement de mécanismes pérennes de financement, conformément au Cadre de Sendai 2015-2030 pour la réduction des risques de catastrophes et aux engagements pris lors du Sommet humanitaire mondial d’Istanbul en 2016.
Nous veillerons à ce que les survivantes de violences sexuelles soient reconnues comme victimes de guerre, accompagnées, soignées, réparées.
Je tiens à rappeler que la redevabilité constitue une exigence fondamentale de la paix durable. Les administrations parallèles instaurées par l’AFC/M23, les violations graves des droits humains et les atteintes aux civils ne resteront pas impunies. Des poursuites seront engagées, dans le respect du droit international, contre tous ceux qui se rendent coupables de crimes à l’encontre du peuple congolais.
Troisième engagement : transformer la crise en levier de stabilité régionale. Nous ne venons pas seulement demander de l’aide humanitaire. Nous venons défendre une vision politique : la paix durable dans les Grands Lacs ne sera possible que si la région choisit l’intégration économique et la prospérité partagée plutôt que le pillage et la prédation.
L’avenir de la région ne peut pas être fait de trafics transfrontaliers illégaux d’or, de coltan ou de cobalt alimentant des groupes armés ; il doit être fait de coopération économique formelle, d’infrastructures interconnectées, d’industrialisation locale, de valeur ajoutée créée sur le continent, et d’opportunités offertes à la jeunesse. C’est cela, la paix durable. La sécurité est nécessaire à la prospérité. Mais la prospérité, elle aussi, est une condition de la sécurité.
Mesdames et Messieurs,
Ce qui se joue ici à Paris dépasse les frontières de la République Démocratique du Congo. Il s’agit de savoir si la communauté internationale est prête à protéger des vies civiles aujourd’hui, pas seulement à commenter leur sort demain. Il s’agit aussi de savoir si nous sommes capables de reconnaître que la paix n’est pas un geste charitable, mais un investissement collectif dans la stabilité d’une région entière de l’Afrique centrale et orientale, au cœur des équilibres du continent.
Je voudrais, en terminant, m’adresser non seulement aux gouvernements, mais aux peuples — au peuple français, au peuple togolais, aux peuples africains, aux peuples amis, à tous ceux qui nous écoutent.
Je vous demande une chose simple : ne détournez pas le regard.
Derrière chaque statistique que nous citons aujourd’hui, il y a un enfant qui dort sous une bâche au lieu d’un toit. Il y a une mère qui a fui sans rien emporter sauf la main de son enfant. Il y a une communauté qui refuse de mourir, parce qu’elle croit encore en l’idée la plus simple, la plus belle et la plus juste : vivre en paix chez soi.
Ce que nous demandons, c’est la vérité.
Ce que nous demandons, c’est la justice.
Ce que nous demandons, c’est la paix. Une paix durable.
La République Démocratique du Congo prend ses responsabilités. Nous vous demandons de prendre les vôtres.
Je vous remercie.

