Pour des raisons des contraintes financières, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) décide d’organiser l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces, couplée à celle des sénateurs le même jour, soit le 29 avril 2024. Les listes définitives des candidats à ces deux échelons ont été rendues publiques le mercredi 16 avril. Deux cent trente et un candidats gouverneurs qui font pour chacun un ticket avec un vice-gouverneur, dont trente et un pour la ville de Kinshasa, contre 1 103 candidats sénateurs sont en lice pour 26 postes de gouverneurs et 108 sièges des sénateurs sur l’ensemble de la République, le 109ème sénateur étant l’ancien président Joseph Kabila, sénateur à vie. Enjeu et au centre des enjeux, le poste de gouverneur de la ville de Kinshasa est âprement disputé par des candidats inconciliables, pas prêts à ne pas se faire des cadeaux. Dans la foulée, Augustin Kabuya, député national et secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), en prend pour son grade. Sans ménagement, des flèches «empoisonnées» sont décochées en sa direction. Motif : sa tentative de vouloir imposer, pour le compte de l’Union sacrée de la nation (USN), le ticket UDPS-MLC avec Daniel Bumba et Eddy Eyeli Molangi, respectivement candidats gouverneur et vice-gouverneur, et de faire appel à la loyauté des députés provinciaux de son parti, voire des partis ou regroupements politiques partenaires.
Le processus électoral 2018-2023 chemine à son terme avec l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces, ainsi que celle des sénateurs. Avec comme corps électoral les députés provinciaux, elles vont toutes se tenir le 29 avril prochain. Ainsi en a décidé la Centrale électorale qui fait face à des contraintes financières.
Consécutivement aux arrêts rendus par la Cour constitutionnelle et les Cours d’appel faisant office des Cours administratives après traitement des contentieux, les listes définitives des candidats à ces deux échelons ont été publiées le 16 avril et la campagne électorale fixée du 25 au 27 avril.
Au total, 231 candidats gouverneurs, constituant chacun un ticket avec un vice-gouverneur, dont 31 pour la ville de Kinshasa, sont en lice contre 1103 candidats sénateurs pour 108 sièges, à raison de 4 sénateurs par province et de huit pour la capitale ; le 109ème siège revenant au sénateur à vie, en l’occurrence l’ancien président de la République Joseph Kabila. Il ne sera pas organisé d’élections des gouverneurs dans les deux provinces sous état de siège, à savoir le Nord-Kivu et l’Ituri. Le Nord-Kivu ne connaîtra pas non plus les sénatoriales.
Les dés étant jetés, les candidats se mettent en ordre de bataille pour l’emporter le jour «j». Du reste, les uns et les autres n’ont pas attendu le lancement officiel de la campagne pour dévoiler leurs ambitions, se vendre auprès des grands électeurs que sont les députés provinciaux ou se faire prévaloir de l’appui de tel ou tel autre parti ou regroupement politique significatif.
D’ores et déjà, ces ambitions étaient connues avec l’annonce suivie du dépôt de la candidature, ainsi que la campagne médiatique qui en a émaillé.
A nouveau une foire à la corruption ?
En attendant la tenue de ces joutes électorales et leur issue, une question traverse la conscience. C’est celle de savoir si elles ne seront pas à nouveau une foire à la corruption comme lors des processus électoraux antérieurs.
En effet, ainsi que noté dans «Le Potentiel Magazine» de février 2024, en 2006 comme en 2018 – les élections des sénateurs, des gouverneurs et des vice-gouverneurs n’ayant pas été organisée en 2011 – le poste de sénateur et de gouverneur de province en RDC est revenu généralement au plus offrant. Pas nécessairement au plus méritant ou à celui avec qui l’on partage la même coterie politique.
Au bas mot, les députés provinciaux s’étaient jetés dans les bras du plus offrant. Pour se donner bonne conscience, les uns laissaient entendre que leur mandat n’était pas impératif. Par conséquent, ils n’avaient que faire avec des instructions émanant de leurs partis respectifs. D’autres ne ressentaient pas la moindre gêne en faisant savoir à qui voulait les interroger que le monnayage de leurs suffrages leur permettait de récupérer les moyens mis en jeu pour leur propre élection !
De la sorte, des gens, dont les forces politiques n’étaient pas représentées dans les Assemblées provinciales, ont été élus soit sénateurs, soit gouverneurs de province. Leur grand atout : une poche large et profonde.
En 2018, c’était l’apothéose. Avec 15 députés provinciaux sur 48 au total à Kinshasa, l’UDPS/Tshisekedi n’a compté aucun sénateur, alors qu’avec le scrutin proportionnel sur listes avec « le plus grand reste » elle pouvait en avoir au moins trois si par groupe des 5, ses députés s’étaient alignés sur trois candidats du parti. Majoritaire au Kasaï Oriental, le parti présidentiel, dont le gouverneur est sorti de ses rangs, a compté cependant zéro sénateur. D’autres partis ne s’étaient pas comportés différemment.
Avec ces pratiques, l’on ne peut donc s’étonner que nos provinces soient l’ombre d’elles-mêmes et que la qualité de certains parlementaires laisse à désirer. D’où la levée de bouclier observée présentement pour préserver ces élections de la corruption. Même la justice a élevé la voix.
Gouvernorat de la ville de Kinshasa : un enjeu au centre des enjeux
Un vif engouement est observé, particulièrement, pour l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces. Ceci dans la mesure où il va en résulter des exécutifs qui vont gérer au quotidien les provinces. Les forces politiques en présence dans les Assemblées provinciales, qui sont en train de se doter progressivement de leurs bureaux définitifs, ne lésinent pas en termes de stratégies et en appellent à la discipline dans leurs rangs. Du pain que n’entendent pas manger les candidats indépendants positionnés en véritables outsiders et déterminés à faire des prises dans les mêmes eaux pour arracher la mise. Ce qui fait monter la tension de quelques crans dans les états-majors politiques à travers le pays.
A Kinshasa, qui constitue un enjeu et qui est au centre des enjeux, on n’en est presqu’à un combat de gladiateurs. Les antagonistes ont le verbe assez haut et ne se ménagent nullement par les militants et la presse interposés. Dans la foulée, le député national et secrétaire général de l’UDPS Augustin Kabuya est au centre des tirs croisés. Se prévalant protecteur du régime en place, l’ancien informateur, qui a renoncé au poste de 1er vice-président de l’Assemblée nationale, ne ménage aucun effort pour consolider et positionner utilement le ticket UDPS-MLC avec Daniel Bumba et Eddy Eyeli Molangi pour la conquête de la ville de Kinshasa. A son appui la configuration politique favorable à l’Union sacrée de la nation à l’Assemblée provinciale de Kinshasa. Celle-ci compte 48 députés, en ce compris 4 chefs coutumiers cooptés, et se décline comme suit : UDPS : 14 députés ; MLC : 6 députés ; AFDC-A : 6 députés ; ACP : 9 députés ; 4AC : 6 députés ; ANB : 2 députés ; AACGP : 1 député.
Echaudé par la situation de 2006 et de 2018, Augustin Kabuya ne se contente pas seulement de l’arithmétique qui lui est favorable, mais il compte aussi sur la loyauté des députés provinciaux qui ont été élus sous les labels des partis et regroupements politiques bien identifiés et unis autour d’un même idéal politique. Du reste, il les marque à la culotte et n’entend donc pas que des outsiders, bien que leurs engagements et ambitions soient légitimes et légaux, puissent compter pour leur ascension sur un investissement dont ils n’ont pas été à la base. Ce qui a conduit à la pratique de corruption qui a émaillé les processus électoraux antérieurs, laquelle pratique doit être bannie.
La logique de Kabuya n’est pas gobée par tout le monde. Raison pour laquelle plusieurs flèches sont décochées en sa direction. Les uns notent que les candidats indépendants sont autorisés par la Constitution et à ce titre il ne peut s’en prendre à ceux qui se présentent comme tels. Aussi, être issu d’un parti ou d’une coalition majoritaire ne signifie pas nécessairement avoir le meilleur programme qui puisse développer la capitale. D’autres, cependant, laissent entendre que le mandat des députés n’est pas impératif pour leur imposer des points de vue pouvant heurter leur conscience. Cette façon de faire est archaïque.
De toutes les façons, il n’est point besoin de souligner que ces élections ont été polluées dans le passé par la corruption à grande échelle. La taille du corps électoral s’y prête. Des exemples sont légion. Cependant, il sied de noter qu’il peut exister un fossé entre la loi et la pratique politique. Tout ne relève pas absolument de la loi.
(Par Moïse Musangana)