Huit jours après les élections européennes 2024 en France remportées par la liste Rassemblement national (RN) menée par Jordan Bardella, et surtout l’annonce par le président de la République, Emmanuel Macron, de la dissolution de l’Assemblée nationale et de la convocation de nouvelles élections législatives, les 30 juin et 7 juillet prochains, le climat politique s’est tendu dans le pays. La France gouvernée par le RN ne sera-t-elle pas fracturée, abîmée, au bord de la guerre civile comme le laissent craindre des manifestations et des rassemblements organisés contre la percée du RN, partout sur le territoire, depuis le 9 juin au soir ? La France est-elle au pied du mur de son identité et de son histoire ? Autant de questions que se posent les gens dépités, car le risque est bien réel de voir surgir une chambre ingouvernable, où le RN, les gauches, Les Républicains (LR) et Renaissance formeraient des groupes inconciliables et dont aucun ne serait capable de constituer une majorité.
Les élections européennes 2024 en France, dimanche 9 juin 2024, ont montré qu’il y’a un profond dissensus entre l’intention d’Emmanuel Macron, à savoir la politique européenne qu’il souhaite porter, et le vote des Français. La sagesse, évidemment, étant donc d’en revenir au souverain. Dans une démocratie, il n’y a qu’un souverain, c’est le peuple. Le peuple a toujours raison parce qu’il est l’expression de la volonté générale. Une société se régénère en donnant la parole au peuple. Néanmoins, était-ce le bon moment d’avoir prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale le soir du résultat des élections européennes et placer le RN au centre du jeu politique français et européen ?
On peut comprendre la nécessité de dissoudre, mais le chef de l’État aurait pu le faire plus tard, à l’automne, après les Jeux Olympiques. En une décision, il a fait exploser la vie politique française. La Droite, la Gauche, et son propre camp ont été profondément meurtris par la dissolution. Un choix abracadabrantesque alors qu’il disposait d’autres solutions ! Un choix qui, en plus, ne touche pas ce qui aurait dû être sa cible : les extrêmes ! Emmanuel Macron n’a pas joué avec le feu, il a mal-joué avec la dynamite !
La revanche électorale du RN
Auréolé par une large victoire, dimanche 9 juin, qui fait un peu office de revanche de l’élection présidentielle de 2022, le RN va engranger de très nombreux députés au soir du 7 juillet. Si l’on analyse la carte électorale des européennes, le RN est arrivé en tête dans 93% des communes françaises. Un raz-de-marée de la France rurale, péri-urbaine et qui, elle, se lève tôt le matin pour aller bosser !
Peut-être que le RN n’aura pas de majorité absolue, mais il risque fort de s’en rapprocher ! Le Parlement sera encore plus ingouvernable qu’il ne l’est aujourd’hui avec une droite nationaliste et les gauches renforcées.
Côté gauche, qu’on ne se leurre pas ! Le PS-Place publique et les Insoumis ont fait de très bons scores, dimanche 9 juin ! Glucksmann a ressuscité le PS pendant la campagne, une campagne tous azimuts pour l’Europe. Pour les Insoumis, la carte pro-palestinienne avec la militante des droits de l’homme, Rima Hassan, a payé : les quartiers populaires et islamisés ont voté massivement Manon Aubry.
Quant à LR, il n’arrive pas à imposer sa marque à la France d’aujourd’hui. Il a besoin d’un nouveau souffle. Les mauvais scores à répétition interrogent sur l’avenir de la formation de droite. Son président, Éric Ciotti, qui s’illustre pour la énième fois par sa dérive illibérale, contribue à maintenir son camp dans l’impasse tout en favorisant la normalisation de l’extrême droite. Après l’annonce d’une alliance avec le RN (sans concertation avec le bureau politique du parti), en vue des prochaines élections législatives, il a été exclu des Républicains par le bureau politique du parti. Même si le tribunal judiciaire de Paris a annulé l’exclusion, la faute a été commise et le problème est et reste, dès l’abord, politique.
Les députés renaissance sidérés
La macronie ne survivra pas à Emmanuel Macron. Ce ne sont pas ses successeurs qui vont tuer la galaxie Macron en se divisant (il suffirait que deux leaders macronistes se présentent à la présidentielle en 2027 et la macronie serait absente du second tour), c’est Macron lui-même.
Dimanche 9 juin au soir, Jupiter a suicidé la Macronie et risque d’entraîner la France avec elle… On ne peut certes suicider autrui. Mais, ce jour-là, en reprochant aux Français d’avoir choisi des options européennes qui ne sont pas les siennes, le chef de l’État a révélé une fois de plus un trait de personnalité fort dangereux. En somme, il doit se dire en son for intérieur : « je suis la France, je me suicide politiquement, donc je suicide la France ».
Emmanuel Macron n’a manifestement prévenu personne dans son camp ! Se donner quelques jours pour laisser quelques chances à ses troupes de rebondir et de préparer une campagne éclair pour sauver les meubles eut été pertinent. On ne s’étonnera pas que cela tangue sérieusement dans la majorité présidentielle. Les députés Renaissance sont tous sidérés : la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a eu bien raison de regretter, lundi 10 juin, dans Télématin sur France 2, que le président de la République ne tente pas de constituer une coalition ou un pacte de gouvernement avec LR et d’autres. Il aurait gagné un peu de temps et transmis la charge morale de la dissolution sur d’autres. Dans ces conditions de précipitation, beaucoup de députés Renaissance sont repartis au combat, mais n’y croient pas vraiment.
Mais puisque le peuple a toujours raison, il va falloir laisser le peuple parler. Même si, disons-le avec force, rien n’obligeait Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale.
La France isolée
Pendant que la France se tourne vers l’extrême droite et l’extrême gauche, l’Europe résiste plutôt bien à la montée des extrêmes ! Les forces de droite centriste vont renforcer leur pouvoir dans le prochain Parlement européen qui siègera à Strasbourg à partir du 17 juillet. La France s’isole un peu plus de sa capacité à peser sur le sort de l’Europe dont elle prétend être comme l’âme et le moteur politiques.
L’empressement d’Emmanuel Macron à convoquer des élections législatives accélère l’isolement de la France et affaiblit dangereusement le rôle de la France sur la scène internationale. Quel sera la crédibilité de sa parole lors des sommets internationaux, notamment pour la paix en Ukraine.
En dissolvant l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron affaiblit la position de la France très avancée sur l’Ukraine. Il avait déjà commis l’erreur stratégique d’un point de vue militaire et politicien d’oser annoncer publiquement, dès février, que des troupes françaises et occidentales pourraient un jour être envoyées en Ukraine. Une erreur de l’envisager publiquement si tôt et le débat interminable qui s’en est suivi a nourri le vote du dimanche 9 juin 2024 en France. C’était déjà une annonce suicidaire, une de plus !
Emmanuel Macron restera-t-il dans l’histoire comme celui qui aura transmis les clés du pouvoir à l’extrême droite ? En tout cas, la marche vers le pouvoir du RN semble plus que jamais inexorable. Aujourd’hui, le parti à la flamme est aux portes du pouvoir.
Robert Kongo, correspondant en France