Dans une capitale rongée par l’anarchie urbaine, le gouverneur de Kinshasa entend marquer une rupture. En s’attaquant frontalement aux marchés informels qui encombrent trottoirs et artères principales, Daniel Bumba Lubaki engage un bras de fer avec un désordre devenu presque structurel. Ce coup de balai autoritaire, qui mêle volonté de rétablir l’autorité publique et impératif de salubrité, soulève autant d’espoirs que de doutes. Car dans cette mégapole de quinze millions d’âmes, l’économie informelle est plus qu’un refuge : elle est une nécessité.
Un mégaphone à la main, escorté par des agents municipaux, Daniel Bumba Lubaki a remonté l’avenue Kasavubu mardi 6 mai, sous les regards incrédules ou hostiles de vendeuses délogées. Le gouverneur de Kinshasa a personnellement dirigé les opérations de déguerpissement des marchés informels installés le long de cette artère centrale de la capitale congolaise, marquant ainsi un tournant dans la gestion de l’espace urbain.
« Les rues et les trottoirs ne sont pas des marchés », a-t-il martelé face aux journalistes. « Toute occupation illégale des emprises publiques sera sévèrement sanctionnée. » En quelques heures, tables, étals et parasols ont été démontés, les marchandises saisies. L’opération s’est ensuite poursuivie sur les avenues Rwakadingi et Itaga, et devrait s’étendre aux autres communes dans les jours à venir.
Une reprise en main symbolique
La démarche du gouverneur s’inscrit dans un contexte particulier. Depuis plusieurs années, Kinshasa est devenue synonyme d’anarchie urbaine : marchés improvisés sur les trottoirs, égouts bouchés, déchets en cascade. La ville figure régulièrement parmi les capitales les plus insalubres d’Afrique subsaharienne.
L’action de Daniel Bumba vise donc à rompre avec ce laisser-aller. Elle porte la marque d’une volonté politique de réaffirmer l’autorité de l’État, souvent absente dans la gestion quotidienne de la cité. « Il ne s’agit pas d’une opération de façade. Nous allons nettoyer la ville, réorganiser le commerce urbain et mettre fin à l’impunité », a affirmé un proche du gouverneur.
Outre les vendeurs informels, les commerçants dits formels sont également visés. L’exposition de marchandises devant les magasins est désormais prohibée, sous peine de sanctions. Une disposition qui, selon les autorités, permettra de désengorger les trottoirs et de fluidifier la circulation piétonne.
Un enjeu sanitaire et structurel
Au-delà de la répression, cette campagne s’inscrit dans une logique de prévention. Les installations anarchiques sont l’une des causes majeures du bouchage des caniveaux et des collecteurs d’eaux usées, aggravant les inondations fréquentes lors des pluies. Le dégagement des voies devrait ainsi améliorer la résilience de la ville face aux aléas climatiques.
Mais la population, longtemps habituée à l’absence de contrôle, attend des résultats durables. « Ce n’est pas la première fois qu’on déguerpit les vendeurs, mais ils reviennent toujours », glisse un habitant de la commune de Kalamu, sceptique.
Un premier test politique
L’enjeu de l’action menée par le gouverneur de la capitale dépasse la seule question de la salubrité : c’est la crédibilité de l’autorité provinciale qui se joue.
« Le vrai défi, c’est le suivi. S’il n’y a pas de surveillance continue, tout reviendra à la case départ », résume un urbaniste de l’Université de Kinshasa.
Dans une ville tentaculaire de plus de quinze millions d’habitants, où l’économie informelle est souvent le seul moyen de subsistance, la bataille pour la réorganisation de l’espace public promet d’être aussi politique que sociale.
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