Le Global Gateway Forum 2025 a été le théâtre d’un affrontement diplomatique crucial entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda. Alors que le Président Félix Tshisekedi a publiquement tendu la main pour une « paix des braves », appelant son homologue rwandais à mettre fin à la guerre, cette initiative a été perçue par une partie de l’opinion congolaise et de l’opposition comme un aveu de faiblesse. Le rejet cinglant et immédiat de Kigali, qualifiant les propos congolais de « théâtraux et inopportuns », semble a priori conforter cette lecture.
Une analyse approfondie révèle, cependant, que cette perception est superficielle. En effet, pour mieux comprendre la position du Président de la République à Bruxelles, il faut se situer dans continuum stratégique avec la réserve congolaise de signer le « Cadre d’Intégration Economique Régionale » quelques jours plus tôt aux Etats-Unis d’Amérique.
Une fois ce préalable contextuel fixé, on comprend facilement que la communication du Président TSHISEKEDI au Forum de Bruxelles n’est clairement pas un signe de faiblesse, mais au contraire, l’expression calculée d’une stratégie des « petits pas », fondée sur un réalisme politique froid, conçue pour déstabiliser la posture du Rwanda sur l’échiquier diplomatique international. L’approche adoptée par le Président de la République était donc, non seulement appropriée, mais stratégiquement supérieure dans le contexte géopolitique actuel.
Je démontre cette évidence en trois points.
1.La pertinence du préalable congolais : refuser la banalisation de la guerre par l’économie
Le premier pilier de la stratégie congolaise réside dans son refus de dissocier la normalisation économique de la normalisation politique et sécuritaire. Il s’appuie à juste titre sur trois leviers clés :
– La cohérence avec l’accord de Washington : La position de la RDC n’est ni un caprice, ni une réarticulation de la stratégie fondamentale. Elle est une application stricte de l’esprit des mesures de décrispation prévues par les accords. En posant comme préalable à la signature de tout accord d’intégration économique régionale le retrait des troupes rwandaises et du M23, la RDC rappelle une évidence : « on ne peut construire une prospérité commune sur un champ de bataille. »
– La détermination à continuer de démasquer la duplicité rwandaise : En invoquant des « mesures défensives légitimes » face à une résolution 2773 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui le condamne, le Rwanda tente de « maintenir un narratif fallacieux ». Par son refus de signer le CIER, la RDC expose au grand jour cette contradiction et révèle le cœur du problème : pour Kigali, l’insécurité dans l’Est de la RDC est un gage de sa stabilité économique et politique intérieure. Accepter de signer un accord économique dans ce contexte reviendrait, par ailleurs, pour la République Démocratique du Congo à entériner et à financer l’instabilité qui la mine. A cet égard, on peut d’ailleurs s’étonner de critiques que formule aujourd’hui une partie de l’opinion publique et de l’opposition politique congolaise qui, à juste titre, adressait au gouvernement cette même alerte sur faiblesses du format originaire de l’accord de Washington du 27 juin 2025.
– La nécessité stratégique de forcer le Rwanda à se dévoiler davantage : En rejetant l’appel à la paix, le Rwanda assume publiquement son refus d’une paix durable. Il se place ainsi en porte-à-faux avec les principes affichés par les forums internationaux comme le Global Gateway, qui promeuvent un développement fondé sur la coopération et l’État de droit. La nervosité manifeste affichée par Paul KAGAME, habituellement calme et habile dans les fora de l’acabit du « Global Gateway Forum » prouve l’efficacité de la démarche congolaise.
2.Une manœuvre diplomatique pour inverser le rapport de force
Face aux revers militaires des FARDC et en attendant la reconstruction efficiente de nos forces de défense, la République Démocratique du Congo a fait le pari de consolider ses gains sur le « théâtre » diplomatique. La manœuvre de septembre – octobre 2025 sur le CIER en est une parfaite illustration. Cela à travers une double approche stratégique :
– Contourner le piège de l’embarra entre fiabilité et responsabilité : Pour ternir son image diplomatique, les adversaires du Président Félix-Antoine TSHISEKEDI l’ont toujours dépeint comme un partenaire imprévisible et donc, à la fiabilité douteuse. Le battage médiatique développé après la signature de l’accord de Washington participait incontestablement d’une prospective stratégique en vue d’un double piège face auquel le régime TSHISEKEDI paraissait indubitablement pris par avance. En refusant de signer le cadre d’intégration économique, Félix TSHISEKEDI s’est montré à la hauteur de la responsabilité, faisant par ailleurs preuve à la fois de perspicacité, mais surtout d’habileté tactique remarquable, gardant son coup pour l’épisode suivant.
– Déjouer les attentes à Bruxelles, inverser la pression et gagner la batail morale : Le timing était crucial. La synchronisation entre le défaut de signature et le Forum de Bruxelles était certainement une manœuvre habile. A cet effet, les détracteurs de la RDC s’attendaient à un discours prévisible, centré sur la dénonciation de l’agression et des appels aux sanctions, facile à disqualifier comme une rhétorique de victimisation. En choisissant un registre inhabituel de « paix par le le dialogue », tendant la main à un agresseur récalcitrant, le Président TSHISEKEDI a pris tout le monde à contre-pied. Il a ainsi privé le Rwanda et ses soutiens de leur narratif, plaçant la responsabilité de la désescalade directement sur les épaules de Paul KAGAME, le prenant clairement à son propre jeu. Il s’avère que cette posture d’« homme de paix » perturbe la communication rwandaise qui, dès lors s’est trouvé dans une position politiquement et moralement davantage inconfortable, consistant à se justifier face à une offre publique et directe de paix faite, sans intermédiaire, devant la communauté internationale. En rejetant nerveusement et quasi immédiatement l’offre congolaise, le régime de KIGALI est maladroitement tombé dans un piège qu’il croyait avoir tendu à KINSHASA. Il renforce encore plus son image de « fauteur de guerre » et « réfractaire à la paix ».
En donnant, à contrario, l’impression d’un dirigeant faible, Félix-Antoine TSHISEKEDI a remporté une brillante victoire morale à Bruxelles, consolidant, du même coup, sa victoire stratégique de New-York.
3.Le fondement d’un réalisme politique froid : capitaliser sur l’embarras occidental
La stratégie des « petits pas » ne naît pas d’un idéalisme naïf, mais d’une lecture fine et impitoyable des dynamiques géopolitiques mondiales. Elle s’appuie sur trois constantes qui créent un embarras indubitable pour les puissances occidentales ; lequel embarras crée des brèches que la République Démocratique du Congo capitalise aujourd’hui avec habileté.
- La protection d’un partenaire (devenu malheureusement) gênant : Les puissances occidentales sont tiraillées entre la nécessité de protéger le régime rwandais, un partenaire de longue date, sous-traitant historique de leur stratégie dans la sous-région, et l’impossibilité de cautionner indéfiniment une tragédie humaine qui devient un casus belli médiatique et moral dans un contexte mondial, qui plus est, de plus en plus instable ;
- La pression d’une résilience patriotique congolaise remarquable : La résilience remarquable du peuple congolais et la mobilisation de sa diaspora rendent de moins en moins crédible toute position occidentale qui ignorerait l’agression subie par la RDC. En ayant remarquablement réussi à préserver l’unité de leur pays, les Congolais ont réussi à maintenir le Congo comme une équation géopolitique à la fois complexe et particulièrement délicat, nonobstant les atouts symboliques apparents de son ennemi « nain géopolitique ».
- La réhabilitation du Congo au cœur de la géopolitique mondiale à la faveur du nouveau contexte géostratégique et géoéconomique globale : Grâce à son intérêt géoéconomique indiscutable, l’émergence de nouvelles puissances globales comme la Chine ou la Russie, ou l’affirmation de blocs économiques alternatifs comme le BRICS + offre à la RDC des alternatives stratégiques. Cela réhabilite le prestige qu’elle avait perdu après la fin de la guerre froide. Cette pression géostratégique contraint les puissances traditionnelles à reconsidérer leur approche, de peur de voir la RDC se tourner définitivement vers d’autres partenaires.
La stratégie de TSHISEKEDI consiste donc à exploiter méthodiquement cet embarras. En évitant la confrontation frontale, d’une part, tout en multipliant les gestes de paix raisonnables mais fermes, d’autre part, il force les partenaires internationaux à choisir entre : continuer à soutenir aveuglement un Rwanda qui refuse obstinément la paix, ou s’aligner sur une RDC qui incarne, malgré ses faiblesses, une position légitime et responsable.
En conclusion, le « flop » apparent du Global Gateway Forum 2025 pour la RDC est en réalité une esquive magistrale.
En évitant le piège d’une normalisation économique prématurée aux Etats-Unis, mais en forçant par ailleurs le Rwanda à révéler son intransigeance devant la communauté internationale, à Bruxelles, le Président Félix-Antoine TSHISEKEDI a habilement utilisé la tribune du Forum pour dérouler sa stratégie des « petits pas ».
La posture générale du gouvernement depuis New-York jusqu’à Bruxelles, combine incontestablement fermeté sur les principes (souveraineté et paix avant l’économie), agilité diplomatique (déjouer les attentes de l’adversaire) et un pragmatisme adapté aux nouvelles dynamiques mondiales.
Loin d’être une lâcheté, cette posture est le fruit d’un réalisme politique qui comprend que la victoire dans ce conflit asymétrique ne se gagnera pas seulement sur le champ de bataille, mais dans la capacité à retourner le narratif international, à exploiter les doutes et les divisions chez les partenaires du Rwanda et à présenter la République Démocratique du Congo comme le seul acteur raisonnable et fiable dans la recherche d’une paix juste et durable.
Maintenant la même dynamique stratégique engagée depuis le début de l’année, l’épisode du 09 octobre 2025 a, encore une fois, permis de mettre plus que jamais l’ensemble des acteurs face à leurs responsabilités. Adversaires et partenaires. En rejetant l’appel à la « paix des braves », Paul KAGAME assume donc son rôle de principal « fauteur de guerre » dans la région. Piège que Félix-Antoine TSHISEKEDI a brillamment su éviter.
Professeur IYOKA OTANGELA-N’Kumu Jean-Bedel
Docteur en Science Politique, diplômé du Collège des Hautes Etudes de Stratégies et de Défense,
Expert national en politiques culturelles et management des institutions culturelles,
Conservateur des archives.
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