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28 septembre, 2024 - 22:43:20
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Debora Kayembe : « Dans deux ans, je vais entamer une carrière politique en RDC »

Ancienne rectrice de l’université d’Édimbourg en Écosse, Debora Kayembe évoque dans l’interview accordée à Infos 27 la pertinence des activités liées à son organisation humanitaire « Full Options Global ». Ce, dans le cadre d’une campagne baptisée « Congo profond », qui se déroulera dans l’ensemble du territoire national, en prévision de son retour définitif en République Démocratique du Congo (RDC) où elle envisage d’entamer une carrière politique dans deux ans. Femme de convictions, l’avocate spécialisée des droits de l’Homme et militante politique salue la nomination de Judith Suminwa Tuluka au poste de Premier ministre du gouvernement congolais. Une première dans l’histoire du pays !          

Votre mandat, en qualité de rectrice de l’université d’Édimbourg, a pris fin le 3 mars 2024, marquant ainsi la fin d’un chapitre remarquable à la tête de cette vénérable institution. Quel souvenir en gardez-vous ?  

Le bon souvenir que je garderai de cet épisode de ma vie est l’accueil que j’ai reçu des professeurs, encadrants et étudiants qui ont tout fait pour me mettre à l’aise. Cela m’a vite permis de prendre confiance. Ils m’ont adopté, dirai-je. Nous avons partagé des moments formidables. Je crois vraiment que j’ai répondu aux attentes de ceux qui m’ont voté à la tête de cette institution. Ça restera pour moi un souvenir inoubliable. À preuve, jusqu’à ce jour, le monde académique compte encore sur moi. Bien que je sois partie, à chaque fois qu’une activité est organisée au sein de l’université, je suis invitée. Cette marque de confiance et de sympathie me va droit au cœur. Je rends grâce à Dieu pour cela. Par contre, je conserve le mauvais souvenir de la méconnaissance de l’histoire de mon pays, la RDC, par les autorités académiques de l’Université d’Édimbourg. Cet établissement est presque fermé aux Congolais. Rappelez-vous que j’ai eu, moi-même, des problèmes suite au projet du gouvernement britannique d’expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile arrivés irrégulièrement au Royaume-Uni. Une situation qui aurait eu de graves conséquences dans la région des Grands Lacs africains. C’est un combat que j’ai mené avec panache en ma qualité d’activiste des droits de l’homme. Finalement, tout le monde a compris le bien fondé de mon engagement sur le sujet. Un jour viendra où cette prestigieuse institution se convaincra de l’intérêt d’une collaboration avec la RDC dans le domaine scientifique, notamment. J’en suis persuadée.

Qu’auriez-vous souhaité réaliser mais que vous n’avez pas pu faire ? 

J’aurai souhaité que l’on accorde assez de places aux personnes perspicaces. À mon avis, elles sont recrutées en petit nombre. N’éludons pas le principe de la méritocratie. Pour qu’elle soit juste, la sélection doit répondre à certains critères d’éligibilité. J’aurai souhaité aussi que l’université abandonne sa vieille pratique colonialiste qui ne fait pas sa fierté. Mais elle est restée fidèle à ça, c’est vraiment dommage. Ce sont deux choses que je n’ai pu réaliser, le temps m’a fait défaut. Je suggère donc au Conseil des sages de l’université de s’imprégner de la marque d’humanité que j’ai impulsé en son sein, et tout ira pour le mieux.

Première personnalité noire élue rectrice de cette prestigieuse université, ça marque pour la vie…

Bien sûr que ça marque pour la vie ! Mon passage restera à jamais gravé dans l’histoire de l’université d’Édimbourg. Honnêtement, je le mérite, et j’en suis très fière. L’esprit combatif qui me caractérise a fait bouger les choses. Il fallait changer très vite certaines habitudes. Je reconnais que je n’étais pas une responsable facile. Néanmoins, j’étais très active, et ce, dans l’intérêt de l’université. Tout le monde s’en souviendra.

Un brin de nostalgie ? 

Oui, je suis partie avec un peu de nostalgie quand même (Rire). Je suis contente du travail abattu et, surtout, je suis restée moi-même. Droite dans mes bottes. Mon mandat était arrivé à son terme, il fallait donc partir… Je suis partie avec la conviction qu’il existe une autre vie, en dehors de l’université. Dans ce genre de milieu, si vous restez longtemps, il est difficile de partir à cause du prestige de la fonction et des avantages qu’elle procure. Mais ça, ce n’est pas Debora Kayembe. Debora Kayembe est au service de l’humanité.

Si vous avez un mot à adresser au monde académique de cet établissement, professeurs, encadrants, étudiants… Ce serait lequel ?    

Qu’ils prennent soin des uns les autres, ou pour le dire autrement, qu’ils agissent contre l’égoïsme, une faiblesse que j’ai découvert au sein de l’université, et qui empêche de voir les autres en frères et sœurs dans une unique famille humaine. Le petit monde qu’ils ignorent peut leur donner ce dont ils n’ont pas. On a souvent besoin d’un plus petit que soi, pour paraphraser Jean de la Fontaine.

Aujourd’hui, vous êtes à la tête de l’ONG « Full Options Global ». Quel en est l’objectif ?  

L’ONG Full Options Global que j’ai initiée en 2011, a été reconnu mondialement en 2018. En d’autres termes, nous avons le droit d’opérer partout dans le monde. Nous avons mené ce combat, pour la liberté, la tolérance, la citoyenneté, le respect et la dignité de l’homme, dans les établissements écossais. C’est ce combat qui m’a propulsé vers l’avant, en devenant rectrice de l’université d’Édimbourg. Nous avons travaillé en Turquie, au Royaume-Uni… Des espaces beaucoup plus compliqués que la RDC où Full Options Global décide de s’installer. J’ai quitté mon pays pour partir vivre à l’étranger, et ce, depuis plusieurs années. Je n’ai presque plus de contact au Congo, mais je voudrais le redécouvrir en y menant des actions à caractère humanitaire. Notre organisation veut faire profiter les Congolais de son expérience, celle de remettre l’humain au centre dans un pays secoué par une très grave crise multiforme.

À travers « Full Options Global », vous avez lancé, le 2 avril dernier, une campagne dénommée « Le Congo profond ». En quoi consiste-t-elle ? 

Contrairement à ce que les gens s’imaginent, nous n’allons pas en RDC pour remettre des polos aux populations. Ce n’est pas ça. La campagne Congo profond, c’est d’abord établir un nouveau contact entre Debora Kayembe et son pays. En cela, j’invite tous les Congolais qui croient en moi, en mon combat pour la promotion des valeurs humanistes de m’accompagner dans ce long voyage. Ensuite, c’est de se rendre sur le terrain, constater les maux qui rongent notre société. L’objectif est de comprendre pourquoi rien ne marche, aujourd’hui, en RDC et de trouver des solutions durables afin de sortir notre pays du fond du gouffre dans lequel il est tombé. De plus, nous sommes soucieux de changer l’image de notre pays à l’extérieur. Nous en avons assez des images négatives de l’Afrique, en l’occurrence la RDC, projetées en Europe et ailleurs. Nous ne sommes pas des faméliques. Loin de là ! Seulement, nos richesses ne sont pas équitablement partagées entre les populations. Je veux dire que le principe de la justice distributive est bafoué par nos dirigeants au nom des concepts idéologiques difficiles à débusquer. Et les populations, bercées dans l’immobilisme et par ignorance de ses droits, observent sans réagir ! C’est là que le bât blesse. C’est ce travail de fond, un travail de l’humain que Full Options Global va mener à travers la campagne Congo profond. Nous avons donc besoin de vous pour mener à bien cette campagne. Sans moyens financiers, nous n’y pouvons rien. Encore une fois, nous faisons, ici, appel aux âmes de bonne volonté, des amis du Congo, la diaspora… de nous aider dans cette démarche. Elle nous tient à cœur.

Où cela va-t-elle se dérouler ? 

Elle se déroulera dans le Congo profond, si je peux reprendre le nom même de cette campagne. Nous allons sillonner le territoire national. Nous débuterons dans les régions du Grand Katanga et du Grand Kivu. Ensuite, nous irons dans d’autres régions telles que le Grand Équateur, le Grand Bandundu, le Kongo Central… Nous nous attèlerons à ce défi.

Avec qui allez-vous travailler ?    

Nous travaillerons avec des leaders volontaires qui maîtrisent leurs milieux respectifs, à même de saisir la portée de notre combat pour le changement social, et pour ensuite l’inculquer aux autres. Nous irons sur le terrain, palper la réalité de ce que vivent les populations, palabrer avec elles pour trouver ensemble les solutions les mieux adaptées à leur situation spécifique. Qu’on nous comprenne bien, la campagne Congo profond n’est pas une arme politique contre le pouvoir en place, elle veut plutôt l’accompagner dans sa tâche immense. Nous lui ferons des propositions pertinentes, ciblées, réalistes qui visent à améliorer les conditions de vie de nos concitoyens.

Que vous inspire la nomination, le 1er avril 2024, de Judith Suminwa Tuluka au poste de Premier ministre de la République Démocratique du Congo ? 

Je salue l’arrivée d’une femme à la tête du gouvernement congolais. Une première dans l’histoire de notre pays ! Je me réjouis de cette nomination, car je ne m’y attendais pas, et je félicite Madame Judith Suminwa Tuluka pour cette promotion. Je sais ce que c’est être le premier ou la première à faire quelque chose. Elle a du pain sur la planche, étant donné que tous les regards sont tournés vers elle. Si j’ai un conseil à lui donner, c’est de garder confiance en elle et rester fidèle à elle-même. Surtout, qu’elle fasse des choses nécessaires à la bonne marche du pays. Elle trouvera certainement des obstacles dans un pays où l’homme prétend avoir la suprématie sur la femme. Elle doit donc s’imposer et se faire respecter par ses collaborateurs. Je lui souhaite bonne chance et plein succès dans sa nouvelle mission.

Les défis à relever sont immenses. Croyez-vous en ses capacités à redonner espoir aux Congolais dans un État en déliquescence ? 

Je sais que ça va être dur, car sa tâche ne sera pas facile. Elle n’a pas de baguette magique pour régler tous les problèmes qui se posent au pays. Surtout qu’elle va faire face à l’indiscipline généralisée qui règne au pays et aux antivaleurs érigées en normes. Reconstruire un pays détruit par des années de conflits dans l’Est, le chômage, la corruption, le népotisme, le clientélisme, la prévarication… prend beaucoup d’années. Ce qu’elle peut faire, c’est de poser les bases d’une nouvelle société où le règne de l’excellence va s’installer au détriment de la médiocrité.

D’aucuns vous voient embrasser une carrière politique en RDC. Vous y pensez ? 

Oui, bien sûr ! Dans deux ans, je vais entamer une carrière politique en RDC. Je l’ai déjà annoncé dans l’un de nos entretiens. Je ne l’ai caché à personne. Mais, j’ai encore des choses à faire, ici, au Royaume-Uni. Des contraintes familiales font que cela ne sera possible qu’à partir de 2026. À ce moment-là, je serai un peu plus dégagée de mes obligations de parent. Si cela devait arriver, parce que c’est la volonté de Dieu, j’y réfléchirai et poserai des conditions préalables avant d’accepter une quelconque responsabilité politique.

Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France

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