Enfin, la fumée blanche. Après de longues semaines de consultations et de débat, le président de la République, Emmanuel Macron, a nommé Michel Barnier Premier ministre, le 5septembre 2024. Le chef de l’État a demandé à l’ancien négociateur du Brexit, membre des Républicains, de « constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays ». Et « s’est assuré que Barnier réunisse les conditions de stabilité et de rassemblement le plus large ». Après le plus jeune Premier ministre avec Gabriel Attal, Emmanuel Macron a nommé le plus âgé. Ce qu’il faut savoir sur son parcours, sa nomination, sa feuille de route.
Deux mois après les élections législatives et au terme de deux semaines de consultations mouvementées à l’Élysée, Emmanuel Macron a choisi un homme d’expérience, à la carrière politique bien remplie – il a été député, sénateur, président de conseil général, plusieurs fois ministre, Commissaire européen à deux reprises – pour remplacer Gabriel Attal à Matignon.
Sa nomination a mis fin à un suspense de plus de 50 jours depuis le second tour des élections législatives, le 7 juillet, qui a vu un front républicain faire barrage au Rassemblement national (RN) et bouleverser le paysage politique, divisé à un niveau rarement atteint sous la Ve République. Mais sa longévité à Matignon est incertaine. Si la gauche lui a déjà promis la censure, Michel Barnier doit sa nomination à la bienveillance de l’extrême droite à son égard. Marine Le Pen et Jordan Bardella ont tous deux insisté sur le fait qu’il était « sous surveillance ».
UNE CARRIÈRE POLITIQUE BIEN REMPLIE
Né le 9 janvier 1951 à la Tronche, non loin de Grenoble, il a été élu en 1978, à 27 ans, représentant gaulliste à l’Assemblée nationale de sa Savoie bien-aimée. Député jusqu’en 1993, eurodéputé mais aussi sénateur, celui qui est aujourd’hui le Premier ministre le plus âgé de la Ve République a participé à plusieurs gouvernements.
Au début de sa carrière politique, le grand public l’associe aux Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville de 1992 qu’il co-organise avec succès dans sa circonscription. Un an plus tard, c’est François Mitterrand qui le fait entrer, pour la première fois, dans un gouvernement comme ministre de l’Environnement. Il devient ensuite, en Européen convaincu, sous Jacques Chirac, ministre délégué aux Affaires européennes.
Entre 1999 et 2004, il est Commissaire européen à la politique régionale, responsable des subventions qui représentent un tiers du budget de l’Union. Il revient au gouvernement en 2005 comme ministre des Affaires étrangères, puis à l’Agriculture (2007-2009) après l’élection de Nicolas Sarkozy avant de retrouver Bruxelles comme député européen.
En 2014, il devient Commissaire européen au Marché intérieur et aux services, où il négocie la nouvelle réglementation des marchés financiers après le krach mondial de 2008. Deux ans plus tard, il se voit confier la lourde tâche de négocier, au nom de l’Union européenne, la sortie du Royaume-Uni après le référendum outre-Manche.
Michel Barnier a tenté en vain d’obtenir l’investiture des Républicains pour la course à l’Élysée qui a débouché en 2022 sur la réélection d’Emmanuel Macron.
LE CHOIX D’UN PREMIER MINISTRE ISSU DE LA DROITE
Emmanuel Macron a chargé Michel Barnier « de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français », selon le communiqué de l’Élysée. Le chef de l’État « s’est assuré que le Premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement », a ajouté la présidence.
La stabilité du gouvernement a été le critère déterminant dans la décision d’Emmanuel Macron, qui s’apparente à un choix par défaut. Après avoir refusé de nommer Lucie Castests, la candidate du Nouveau Front Populaire (NFP), Emmanuel Macron a étudié pendant deux semaines plusieurs options – Xavier Bertrand, Bernard Cazeneuve et Thierry Beaudet -, mais à chaque fois l’équation parlementaire s’est révélée insoluble.
Le refus du Parti socialiste (PS) de soutenir Bernard Cazeneuve a été décisif dans ce choix, assure l’Élysée. Faute de pouvoir aller vers la gauche, Emmanuel Macron n’a eu d’autre possibilité que de se tourner vers la droite, défend-t-on au sein du Palais. Où l’on avait tenté en vain depuis 2022 de former une alliance de gouvernement avec LR.
Emmanuel Macron a fini par réussir à sortir de la nasse dans laquelle il s’était mis avec la dissolution surprise au lendemain des européennes. Mais avec Michel Barnier, le prix de la stabilité – nul ne sachant combien de temps elle va durer – est élevé, puisque son bail à Matignon dépendra de l’attitude du RN à son égard.
LE RN FAISEUR DE PREMIER MINISTRE
En effet, le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella tient la clé de l’adoption d’une motion de censure contre le gouvernement qui sera nommé. Pour l’instant, il n’envisage pas le dépôt d’une motion de censure immédiate et exclut de voter celle que le NFP ne manquera pas de déposer dès la reprise des travaux parlementaires.
« Nous jugerons sur pièces son discours de politique générale, ses arbitrages budgétaires et son action. Nous plaiderons pour que les urgences majeures des Français, le pouvoir d’achat, la sécurité, l’immigration, soient enfin traitées, et nous nous réservons tout moyen politique d’action si ce n’était pas le cas dans les prochaines semaines », a réagi le président du RN, Jordan Bardella.
« On a demandé aux gens de gauche de faire barrage au RN, et ils se retrouvent avec un Premier ministre qui sera dans la main du RN. Le RN aura un véritable droit de veto sur ce que proposera Michel Barnier », analyse la politologue Chloé Morin. La personnalité de Michel Barnier, opposé à la dépénalisation de l’homosexualité lors du vote de la loi en 1982, partisan d’une retraite à 65 ans avant la présidentielle de 2022, n’a fait qu’exacerber les réactions à gauche.
LA GAUCHE DÉPITÉE
Si la nomination de Michel Barnier a été saluée par les députés de la Droite républicaine, elle ne passe pas à gauche qui revendiquait Matignon après être arrivée première, mais loin d’une majorité, à l’issue des élections législatives. Le patron de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, a parlé d’une « élection volée » ; le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a évoqué une « crise de régime » et d’un « bras d’honneur au front républicain » ; la secrétaire nationale Les écologistes-EELV, Marine Tondelier, fait état d’un « vrai scandale »…
Quant à l’aile gauche de la majorité sortante (la macronie), elle s’est faite plus réservée. Elle veut, comme le RN, juger sur pièces. « Il n’y aura pas de censure automatique mais des exigences sur le fond sans chèque en blanc », a-t-il averti dans un bref communiqué.
Emmanuel Macron avait envisagé un Premier ministre de centre droit, avant d’évoquer le centre gauche, et de finir avec la vraie droite, et même la dure si l’on retient le programme Barnier de la primaire LR 2021.
Certes, Michel Barnier est réputé pour ses talents de négociateur : homme tenace, on lui reconnait une certaine capacité à trouver des compromis. Mais les vraies questions sont : peut-il vraiment rassembler à Matignon ? Combien de divisions ? Pourra-t-il résister à la menace d’une censure de l’Assemblée nationale ? À suivre.
Robert Kongo, correspondant en France