« Kin Kiesse, biloko ngeli-ngeli » (Kinshasa, ville qui rayonne de plaisir, où tout brille), disait une chanson de l’orchestre Zaïko Langa Langa célébrant une ville où la vie s’écoulait doucereusement comme l’eau fraîche des fontaines et qui a fait rêver beaucoup d’Africains. Aujourd’hui, il ne lui reste que le goût amer de la nostalgie d’une époque, qui, malheureusement, est révolue, et le son lancinant de cette mélodie est devenu une triste litanie. Un chant funèbre pour une ville qui se délite à vau-l’eau et se meurt lentement. « La ville est sale », se plaignent en chœur les Kinois, qui constatent, amers, l’incapacité des pouvoirs publics à prendre la situation en main et d’agir pour sauver Kinshasa.
Jadis Kin la belle, Ville-province tentaculaire, troisième agglomération la plus peuplée est aussi de plus congestionnée et sale. Jusqu’à présent, les principaux changements observés dans la capitale ont été à La Gombe et dans les communes avoisinantes : des centres commerciaux, des hôtels et résidences de standing, des immeubles de bureaux ont été construits, le boulevard du 30 juin a été élargi, doté – dans certains endroits – de feux de signalisation et de passages piétons…
La capitale congolaise est actuellement transformée en une grande décharge publique à ciel ouvert. Il est aujourd’hui impossible de se déplacer d’un point à l’autre de la capitale sans tomber sur des immondices. Une situation qui inquiète de plus en plus les habitants de la ville province de Kinshasa.
Pour beaucoup qui ont vu leur ville grandir puis se flétrir sous les assauts de l’âge et d’une urbanisation sauvage et mal pensée, la vision du chaos qu’elle renvoie peu à peu, l’agglomération est vécue comme un véritable crève-cœur. Une agression qui provoque, chez beaucoup de Kinois, des années 50-60-70-80, une sorte de blessure narcissique.
« KIN LA POUBELLE »
C’est devenu un cliché, mais il colle malheureusement à la réalité. Depuis des années, la capitale congolaise répond au triste surnom de « Kin la poubelle ». La saleté et les déchets sont omniprésents dans les rues de Kinshasa. Les habitants sont confrontés à des montagnes d’ordures qui s’accumulent jour après jour. Même dans certains endroits de la commune huppée de La Gombe, le quartier d’affaires et siège des principales institutions du pays, les immondices s’empilent aux coins des rues. Le spectacle est dégradant et inadmissible ! Les canalisations sont bouchées, ce qui entraîne des inondations lors des fortes pluies. Les conditions sanitaires sont précaires et favorisent la propagation de maladies.
Les belles avenues d’antan ont perdu de leur superbe. C’est le cas, par exemple, des fameuses avenues Kasa-Vubu et Bokassa qui étaient la fierté de Kinshasa. On se croirait dans une ville soumise à la guérilla, des affaissements par endroits des routes bordées de part et d’autre de maisons vouées à la démolition.
Plusieurs sites, notamment des marchés, se trouvent dans un état d’insalubrité criant et sont remplis d’un tas d’immondices en plastique qui obstrue le passage des eaux dans les caniveaux. De plus, les commerçants et les habitants des rues environnantes se livrent à des pratiques non citoyennes en jetant sur les chaussées des ordures qui gênent la circulation sans aucune réaction des autorités compétentes.
GALÈRE DE LA CIRCULATION
Les travaux de voirie et chantiers engagés ces derniers mois n’améliorent en rien la circulation. Par exemple, les embouteillages sur le boulevard Lumumba, voie unique partant du centre-ville et traversant plusieurs quartiers populaires sur 20 km jusqu’à l’aéroport international de N’djili, à l’Est, sont légendaires. Mieux vaut partir avec six heures d’avance pour être sûr de ne pas rater son vol… Ou louer les services d’un taxi-moto, les « Wewa ». C’est la galère !
Jusqu’alors réservés aux Kinois les moins aisés, les « Wewa » restent la meilleure solution pour circuler dans la capitale, où les conducteurs peinent à respecter les règles les plus élémentaires du code de la route. Et les transports en commun, insuffisamment développés, mal organisés ou vétustes, sont encore très loin de répondre aux besoins des Kinois, dont la grande majorité ne possède pas de véhicule personnel et est contrainte d’utiliser « la ligne 11 » (Expression locale désignant la marche, à Kinshasa), notamment pour vaquer à ses occupations quotidiennes.
VILLE ABANDONNÉE
Dès lors, on peut se poser des questions sur le rôle de l’autorité publique dans la ville de Kinshasa au moment où la ville semble abandonnée à son triste sort et est devenue l’ombre d’elle-même ! Les services d’hygiène des communes viennent rarement faire le travail de nettoyage. Chose plus grave, le réseau d’assainissement et d’évacuation des eaux pluviales est défaillant. Conséquence : les avaloirs sont bouchés et les eaux de ruissellement stagnent et se déversent en surface et provoquent le tassement au sol. Qu’est devenue l’initiative « Kin Bopeto » (Kin propre) ? Une interrogation qui a le mérite d’exister.
En tout cas en matière de collecte et de gestion des déchets, les solutions mises en place par l’ancienne équipe dirigeante de l’hôtel de ville de Kinshasa sont restées trop ponctuelles pour apparaître comme autre chose qu’une opération de communication.
À propos des transports en commun, l’État a démissionné de son rôle. La société de transports du Congo (Transco) ne fait pas le poids ; ce sont les privés qui détiennent le monopole dans ce domaine et s’imposent si bien qu’ils se révoltent très souvent lorsque certaines mesures prises par l’État ne les arrangent pas. Et souvent, les autorités congolaises fléchissent à leurs désidératas, même si la loi en matière de régulation du trafic routier est toujours bafouée. Comment donc s’étonner que le désordre perdure quand l’État renonce à assurer sa mission dans cette mégapole ?
KINSHASA MÉRITE MIEUX
Cette situation de délabrement est complètement à rebrousse-poil de la renommée internationale de la capitale congolaise et de son histoire prestigieuse. Une ville de l’envergure de Kinshasa mérite largement mieux, elle doit normalement être jalouse de son image et de sa résonance dans l’imaginaire, une ville qui faisait rêver et où la lumière et l’ambiance étaient si particulières. Or, rien n’a été fait depuis des lustres pour que la ville retrouve son lustre d’antan de telle sorte qu’elle réintègre sa place dans la dynamique nationale et internationale.
La résonance de Kinshasa passe surtout par l’idée que les responsables locaux et nationaux ont de son avenir. Le mythe Kinshasa, « Kin Kiesse », peut être ressuscité pour peu que l’on songe dans un élan d’imagination et d’innovation à mettre à contribution son passé historique riche pour la doter de nouvelles activités dans divers domaines (tourisme, commerce, culture, environnement…). Ceci suppose au préalable un travail sérieux sur l’image du gouvernorat qui a acquis la mauvaise réputation de centre de toutes les frasques et intrigues. Un travail qui signifierait que les acteurs locaux et élite locale, en partenariat avec l’administration centrale, décident dans un sursaut salutaire de se réapproprier le destin d’une ville qui mérite sincèrement mieux que son sort actuel fait de laisser-aller et de démission. R
Robert Kongo, correspondant en France