L’un des plus grands ambassadeurs de la rumba congolaise, Sam Mangwana, avec sa voix exceptionnelle, est l’un des chanteurs les plus reconnus de sa génération. Son immense et toujours active carrière fait de lui un grand parmi les grands. Pour sa longue carrière professionnelle couronnée de succès, notamment en République Démocratique du Congo (RDC), l’État congolais a décidé de lui attribuer, le 1er novembre 2024, la médaille d’or de mérite artistique. Au cours de cette interview accordée à Infos27, il évoque cette distinction et est enchanté de cette nouvelle. Par contre, il désapprouve avec force la manière dont la société congolaise des droits d’auteurs et des droits voisins (SOCODA) fonctionne. À ce jour, ses droits d’artiste ne sont pas payés. Ce, depuis plusieurs années. Il demande que réparation soit faite. Une telle structure doit veiller à soigner son image. Sa réputation en dépend.
Comment allez-vous et qu’êtes-vous devenu ?
Je vais bien. Je suis rentré définitivement chez moi, en Angola, depuis 2005. De temps en temps, je pars en Europe pour répondre à quelques invitations des chaînes de télévision et participer à des festivals de musique. Lors de la crise du covid-19 notamment, je suis resté confiné là-bas, et j’ai donné un concert en streaming au Fil des Voix à Paris. C’est d’ailleurs ma dernière production en Europe.
Et depuis, vous avez gardé le silence. Pourquoi ?
Vous savez, le monde a beaucoup changé. Avec la disparition des grandes figures de la rumba congolaise, mon souhait était de rester l’un des gardiens de ce genre musical qui fait bouger l’Afrique : la République Démocratique du Congo, la République du Congo, le Cameroun, le Gabon, pour ne citer que ces exemples. Mais hélas, beaucoup de producteurs ne s’intéressent plus à la musique de notre génération. Elle est déjà hors sol, semble-t-il : nous sommes des artistes du passé. J’ai préféré faire ce que les anglo-saxons appellent return to the village. Comme je l’ai dit, je suis donc rentré ici, chez moi, en Angola, ma terre mère. Toutefois, je continue de réfléchir sur la musique que j’ai commencé à faire depuis ma tendre jeunesse. Je n’arrêterai pas d’attiser la flamme de la rumba, sur scène, comme en studio, avec mes œuvres. C’est mon travail, après tout !
Quel est votre dernier album sur le marché du disque ?
Mon dernier album s’intitule Lubamba. Il est même vendu en streaming.
Vous vous définissez comme artiste africain, et vous avez fait vos premiers pas dans la musique à Kinshasa, en RDC. Aujourd’hui, quels sont vos rapports avec l’État congolais ?
La RDC est ma seconde patrie. J’y suis né. J’ai grandi à Kinshasa et à Brazzaville. Je me considère comme un citoyen de cette grande région d’Afrique : Angola, RDC et République du Congo. J’assume cette triple identité, et je la revendique. Il y’a un mois, j’ai eu l’heureuse surprise de recevoir l’appel de l’ambassadeur de la RDC en Angola, M. Kalala Mayiba, m’annonçant que l’État congolais a décidé de me décerner, le 1er novembre prochain, la médaille d’or de mérite artistique. Cet événement sera honoré de la présence des crèmes de la Culture venant de partout dans le monde. Cette marque de reconnaissance de la part des autorités congolaises me va droit au cœur.
Et comment appréciez-vous cette reconnaissance ?
C’est une renaissance. Ce geste symbolique fort me motive à donner le peu d’énergie qui me reste pour valoriser encore et encore cette belle musique africaine que j’ai toujours pratiqué.
La société congolaise des droits d’auteurs et des droits voisins (SOCODA) vous paie-t-elle vos droits d’artiste ?
Franchement, non. Pourtant, mes disques continuent à être vendus en RDC. Depuis l’existence de la société nationale des éditeurs, compositeurs et auteurs (SONECA), l’ancêtre de la SOCODA, je ne bénéficie pas de mes droits d’artiste. Tout est bloqué. Jusqu’à présent, j’attends que cela s’arrange. Ayant fait une grande partie de ma carrière artistique en RDC, je n’ai toujours pas voulu bousculer les faits pour ne pas ternir les bons rapports que j’entretiens avec l’État congolais. Mon sens d’humilité m’oblige à demeurer calme et attendre que les choses se décantent. Sans se hâter.
Ne serait-il pas bon de prendre carrément langue avec les autorités congolaises, notamment la ministre de la Culture et des Arts, Mme Yolande Elebe Ma Ndembo, pour discuter de vos droits ?
Oui bien sûr, mon avocat étudie cette éventualité. Le paiement de mes droits d’artiste devra être discuté au cours de cette rencontre, si elle aura lieu. Ce que je souhaite de tout mon cœur.
À quoi sert donc la SOCODA si les droits d’auteur aux artistes ne sont pas honorés ?
Je crois que c’est une question d’honnêteté morale. Nous avons perdu des attributs positifs et vertueux tels que l’intégrité, la véracité, la franchise ainsi que l’absence de mensonge, de tricherie, de vol, etc. Comment expliquer que l’on puisse refuser à quelqu’un ses droits…Des droits obtenus à la sueur de son front ? Incompréhensible, forcément incompréhensible. Et c’est très frustrant. Je ne suis pas de nature agressive. J’ai l’impression que ce sont les brutaux, les arrogants, les voyous, dans le monde aujourd’hui, qui s’en sortent le mieux. C’est aberrant. J’espère que, grâce à cette distinction qui me sera bientôt accordée, ma situation sera étudiée et mes droits respectés de manière suffisante. Le 21 février 2025, j’aurai 80 ans. Il faut que j’aie de quoi conclure ma grande carrière. Je vais également en discuter avec l’ambassadeur de la RDC en Angola pour examiner ensemble les voies et moyens de résoudre ce problème.
Pourtant, avec la création de cette structure, son Conseil d’administration a parlé de début d’une nouvelle ère pour les artistes congolais ?
C’est ce que j’ai aussi entendu. Aujourd’hui, nous vivons une autre réalité. Ceci est vraiment dommage du fait que les intentions affichées au début de sa création étaient bonnes.
Êtes-vous en contact avec les membres du Conseil d’administration ou les gestionnaires de la SOCODA ?
Ce sont des collègues, des amis. Et je parle avec eux au téléphone. À chaque fois, ils me débitent des balivernes : « nous sommes en commission, l’affaire est en cours, on ne vous oublie pas… ». C’est fatigant. Mon avocat, M. Sindani, qui est sur place à Kinshasa, suit l’affaire.
Si vous avez un message à adresser aux autorités congolaises pour le non paiement de vos droits, ce serait lequel ?
Que l’argent destiné aux artistes, et qui se trouverait sur un compte en banque, soit bien reparti. Qu’on n’oublie surtout pas ceux qui ne sont plus de ce monde. Ils ont promu l’Art et la Culture du Congo à travers le monde. Je ne citerai à cet égard que quelques individualités : Papa Wendo, Joseph Kabasele (Grand Kallé Jeff), Luambo Makiadi (Franco), Tabu Ley Rochereau, Nicolas Kasanda (Docteur Nico), Kiamuangana Mateta (Verckys). Et le vieux Jeannot Bombenga, lui, est encore en vie. Que tous les artistes, jeunes et anciens, soient traités rationnellement, de manière juste et honnête.
Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France