Pour bien cerner le sujet soumis à notre réflexion, il nous semble utile d’apporter préalablement quelques précisions terminologiques. En effet, les défenseurs et les détracteurs de la réforme constitutionnelle parlent tantôt de révision, tantôt de changement de la Constitution ou de nouvelle Constitution. Qu’en est-il exactement ?
Il convient de noter que c’est à la France qu’on doit le mérite de la distinction entre la révision totale et la révision partielle. La révision totale consiste en le remplacement d’une constitution par une autre. La nouvelle constitution succède donc à l’ancienne selon les règles de celle-ci. De ce fait, on peut affirmer que changer la constitution équivaut à une révision totale.
La révision totale, ou changement de constitution, relève de la compétence du constituant originaire, qui détient un pouvoir insubordonné. Ce dernier est entendu comme un pouvoir initial, autonome et inconditionné. Par “pouvoir insubordonné et inconditionné”, Georges Burdeau entend que ce pouvoir ne peut être subordonné à un autre pouvoir.
En dépit de son pouvoir insubordonné, le constituant originaire est tenu de respecter la séparation des pouvoirs et les droits fondamentaux des citoyens tels qu’inscrits dans la Charte de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, entre autres. La révision totale doit obligatoirement être approuvée par la population par voie référendaire afin de bénéficier d’une légitimation démocratique.
D’ailleurs, l’ancien vice-président du Conseil d’État français, Jean-Marc Sauvé, a bien démontré que « le référendum, en permettant une participation directe des citoyens, est un instrument de consolidation de la démocratie ».
La révision totale, caractérisée par le remplacement d’une constitution par une autre, peut avoir plusieurs objectifs : changer le régime politique d’un État, retravailler une constitution afin d’approfondir ses principes et d’en corriger les défauts révélés par son usage, ou moderniser une constitution ancienne pour l’adapter aux réalités contemporaines.
Il s’agit donc d’adapter la constitution à la réalité sociale, de la mettre à jour et de répondre aux aspirations de la population.
D’autre part, la révision totale, ou changement de constitution, procède, comme l’affirme Mathieu Aldjina, « d’une crise : après une interruption de la vie constitutionnelle d’un État à la suite d’événements plus ou moins dramatiques (conflit armé, coup d’État, révolution, insurrection populaire) ».
Quant à la révision partielle, il convient de souligner qu’elle maintient la constitution tout en la modifiant, toujours dans le respect des règles, sur un objet déterminé. La réforme d’articles constitue, en effet, une révision partielle.
La révision partielle de la constitution est illicite si elle est opérée selon une procédure non prévue par celle-ci. Il est généralement admis que l’objectif d’une révision partielle est d’améliorer la constitution en vigueur sans aller jusqu’à sa transformation.
Une tendance de la doctrine distingue la révision du changement de constitution, comme le rappelle Nahm-Tchougli, en s’appuyant sur d’autres travaux (voir « Révision constitutionnelle : la problématique générale », dans les « Journées d’études des 20 mars et 16 décembre 1992 », Association française des constitutionnalistes, Economica, 1993). En effet, selon ces auteurs, la révision de la constitution est l’acte par lequel on procède à une modification de la constitution selon le régime que celle-ci a elle-même prévu, tandis que le changement de constitution désigne l’opération visant à en rédiger une nouvelle.
Il convient de rappeler, comme précisé précédemment, qu’en France, on distingue entre la révision totale et la révision partielle, tandis que d’autres doctrinaires font la différence entre la révision et le changement de constitution.
Cela étant précisé, il importe de souligner que la Constitution congolaise du 18 février 2006 n’a pas expressément fait la distinction entre la révision partielle et la révision totale. Cette loi fondamentale se limite à organiser, au titre VIII, la matière de la « révision constitutionnelle » sans établir cette nuance.
La lecture de l’article 218 de la Constitution, qui prévoit la procédure de sa révision, montre clairement qu’il s’agit d’une révision partielle. Ainsi, la Constitution du 18 février 2006 n’a pas planifié ni programmé sa mort (révision totale), mais elle prévoit plutôt sa thérapie (révision partielle) en cas de « maladie ».
Il se pose alors la question de savoir si cette Constitution peut être révisée totalement (changée) tant qu’elle ne prévoit pas ce mode de révision. Nous pourrions y répondre par l’affirmative en nous fondant sur le principe général du droit selon lequel « ce qui n’est pas interdit est permis ». En effet, lorsque la Constitution est muette, elle est complétée par d’autres sources du droit telles que la loi, la jurisprudence, les principes généraux du droit et la coutume constitutionnelle.
Dans ce cas, le silence de la Constitution est comblé par le principe général de droit précité. Par ailleurs, le professeur Kpodar affirme qu’« aujourd’hui, il est clair que le droit constitutionnel n’est pas toujours contenu dans la Constitution ».
Depuis la genèse de la Constitution du 18 février 2006, en 2005, les élites intellectuelles congolaises ont dénoncé la manière dont le texte a été rédigé et adopté.
Nous constatons que cette Constitution contient des imperfections et des incohérences, présentant un caractère d’extranéité, manquant d’identité congolaise, et ne garantissant pas le droit à la réparation des victimes selon les standards modernes, etc. Le retour à l’authenticité du texte constitutionnel congolais s’impose.
La Constitution du 18 février 2006 n’a pas mentionné expressément le régime politique, la forme de l’État, ni la juridiction pénale du Président de la République honoraire et des anciens premiers ministres pour les infractions commises lorsqu’ils étaient en fonction.
De plus, elle ne s’adapte pas à la mentalité congolaise, dans le sens où, lorsque les ministres, les directeurs généraux des entreprises, les gouverneurs et d’autres responsables n’assument pas leurs responsabilités, la population vise toujours le Président de la République. Cela signifie qu’il faut un régime présidentiel pour mieux correspondre à la mentalité congolaise.
Le régime présidentiel n’est pas synonyme de dictature, car il repose sur le respect strict de la séparation des pouvoirs. En réalité, la République Démocratique du Congo peut fonctionner tantôt sous un régime parlementaire en période de cohabitation, tantôt sous un système présidentialiste (semi-présidentiel) en cas de concordance entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire (coalition).
Que ce soit dans le cadre d’un régime parlementaire ou d’un régime présidentialiste, le chef du gouvernement est à la fois responsable devant l’Assemblée nationale et devant le Président de la République, qui peut lui demander la démission.
En réalité, le chef du gouvernement devrait être responsable uniquement devant l’Assemblée nationale, car l’exécutif est bicéphale (chef de l’État et chef du gouvernement).
La première révision constitutionnelle a abouti à la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011, portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006. Cette révision a curieusement touché aux deux matières intangibles prévues par l’article 220 : il s’agit de l’indépendance judiciaire (article révisé 149) et des prérogatives des provinces (articles révisés 197 et 198).
Le constituant dérivé, au lieu de plonger dans l’irrégularité flagrante en révisant les articles intangibles, aurait dû procéder d’abord à la révision de l’article 220 pour rendre tangibles les articles révisés 149, 197 et 198.
En conclusion, une révision totale de la Constitution (changement) s’impose pour s’adapter réellement aux aspirations et aux mentalités congolaises ainsi qu’à la réalité socio-politique. Cette Constitution contient des imperfections et des incohérences, et elle manque d’identité congolaise au regard de son caractère d’extranéité.
Bettens Ntumba (CP)