Né le 27 novembre 1939 à Jadotville, actuelle Likasi, le 16 janvier 2001, le président Laurent-Désiré Kabila tombait sous les balles dans son bureau à Kinshasa, plongeant la République démocratique du Congo dans un profond choc. Deux décennies plus tard, le mystère continue de planer sur les circonstances exactes de cet assassinat, semblant s’épaissir au fil des années.
Dans ce drame politico-historique aux allures de roman policier, les acteurs clés de l’époque disparaissent progressivement, emportant avec eux des fragments cruciaux de vérité. Gaétan Kakudji, influent ministre de l’Intérieur, s’est éteint en 2009. Dominique Sakombi-Inongo, propagandiste renommé, a suivi en 2010. Puis, l’énigmatique Augustin Katumba Mwanke, stratège redouté et homme de l’ombre, est mort dans un accident d’avion en 2012. Abdoulaye Yerodia Ndombasi, diplomate controversé, a tiré sa révérence en 2019, suivi de près par Jeannot Mwenze Kongolo, Emile Mota, disparus tous deux en 2021 et Constantin Nono Lutula, conseiller spécial en matière de sécurité en 2024.
Parmi les figures emblématiques de l’entourage de Mzee qui restent aujourd’hui en vie, on retrouve des noms qui résonnent comme des témoins vivants d’une époque complexe et troublée. Joseph Kabila, alors chef d’état-major des forces terrestres et successeur de son père à la tête de l’État de 2001 à 2018 ; John Numbi Banza, commandant militaire influent du Katanga ; Léonard She Okitundu, ministre des Affaires étrangères à l’époque ; Eddy Kapend, fidèle aide de camp du président et acteur central du procès qui a suivi l’assassinat ; Georges Leta Mangasa, administrateur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR) ; et Georges Buse Falay, directeur du cabinet présidentiel.
La vérité sur la mort de Laurent-Désiré Kabila est-elle condamnée à rester enfouie avec les âmes disparues, dans les recoins sombres de l’histoire ? Ou peut-être, dans les silences ou les mémoires de ceux qui restent, se cache-t-il encore une lueur d’espoir, une révélation qui, un jour, viendra briser ce voile d’ombre ? L’histoire de ce drame, marquée par les trahisons, les manipulations et les zones d’ombre, continue de se tisser, un mystère dont l’écho traverse le temps et s’invite dans la mémoire collective du pays. Les interrogations persistantes, suspendues au fil des années, alors que le Congo continue de vivre avec cette douleur silencieuse, héritée du jour tragique où son président a été fauché. Chaque survivant devient ainsi une source potentielle de révélations, mais aussi un acteur de l’oubli. L’histoire, nourrie de non-dits et de secrets inavoués, se fait plus complexe à mesure que les témoins se font plus rares. Chacun d’eux, à sa manière, incarne une partie de la vérité qui s’échappe entre les mailles du temps.
Cependant, le peuple congolais, qui a vécu et souffert au rythme de cet assassinat, porte en lui la quête incessante de justice. L’ombre de Laurent-Désiré Kabila flotte encore, mais aussi par l’espoir que, quelque part, un jour, la vérité émergera. Et si, entre les murmures des survivants ou les archives oubliées, une vérité enfouie venait à ressurgir, défiant les décennies d’omerta, révélant enfin les fils invisibles qui ont tissé cette tragédie ? C’est peut-être là le dernier espoir d’un peuple désireux de comprendre, non seulement ce qui s’est réellement passé ce jour-là, mais aussi pourquoi l’histoire du pays a pris ce tournant fatidique. Ainsi, l’histoire de la mort de Laurent-Désiré Kabila, loin de se clore, continue de hanter les consciences et de susciter les questionnements.
Infos27 a réuni ici diverses versions des faits, parfois empreintes de contradictions.
Émile Mota : “J’ai été le dernier à parler à Laurent-Désiré Kabila avant l’irréparable”
Dans un documentaire de la RTBF datant de plusieurs années, Émile Mota, le « dircaba » chargé des questions économiques de Mzee Laurent-Désiré Kabila à l’époque, affirme être le seul témoin et le dernier à avoir parlé au Président assassiné. Il rapporte qu’il se trouvait dans le bureau présidentiel, en pleine discussion avec Mzee, lorsque le garde du corps Rachidi Kasekera a fait irruption avant de tirer sur ce dernier.
Président de la commission d’enquête composée notamment d’Angolais, de Namibiens et de Zimbabwéens, Luhonge Kabinda Ngoy – alors procureur général de la République – a fait état de trois balles de calibre 9 mm. Le 24 mai 2001, il déclare : « Une balle entre dans la tempe, une seconde entre au niveau de l’épaule, traverse le cœur et ressort par la droite, une troisième perce l’estomac », sans pour autant convaincre l’opinion.
Émile Mota s’était confié en ces termes : « Je suis le seul témoin et le dernier à lui avoir parlé, effectivement. Nous préparions le sommet France-Afrique, nous devions aller à Yaoundé. Et ce jour-là, c’était un jour de ma permanence, et c’est à ce moment-là qu’il m’avait demandé qu’on fasse la liste des gens avec qui nous devions voyager. Nous étions sur ce dossier-là, quand l’inévitable est arrivé. Le garde du corps vient, il arrive à la porte, il claque ses souliers, il salue. Le chef lui demande qu’est-ce qu’il y a, venez. Et il est entré. Là, moi, j’étais en train de prendre note, j’entends le premier coup de feu. Je regarde, il tire encore une fois. La troisième fois, il tire et puis il commence à sortir. Voilà comment ça s’est passé. Et là, je me suis réveillé, je ne comprenais rien du tout. Je ne savais pas ce qui s’est passé. Je suis sorti aussi vers la porte où il est entré, il courait. J’ai crié en swahili, ‘ce monsieur vient de tirer sur le chef de l’État’. Moi, je ne le connaissais pas de nom. »
Plus tard, Émile Mota avait occupé les fonctions de ministre de l’Agriculture (2015-2016) sous le mandat de Joseph Kabila.
« Coup d’État de palais », Quand Joseph Kabila contredit Dominique Sakombi-Inongo
Dans une interview accordée à l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » n°2115 du 24 au 30 juillet 2001, le tout nouveau président Joseph Kabila déclarait notamment : « Un rapport préliminaire a été rendu public. Des gens impliqués dans le complot sont en fuite. Nous les recherchons activement. Tous les autres sont déjà entre les mains de la justice. Il y aura, bien évidemment, un procès ouvert et transparent. »
Sans doute contraint par la clameur populaire suspectant un « coup d’État de palais », Kabila a contredit Dominique Sakombi-Inongo, alors ministre de la Communication. « Comme l’assassin a été abattu, il n’y aura pas d’enquête », affirmait le ministre Sakombi le 18 janvier 2001, provoquant la stupeur. Comment peut-on classer sans suite une affaire relative à l’assassinat d’un chef d’État sous prétexte que l’assassin a été tué ?
« Laurent-Désiré Kabila, Ma part de vérité » – Témoignage pour l’histoire de Mwenze Kongolo
L’auteur de cet ouvrage, Mwenze Kongolo, figure parmi les plus proches collaborateurs du président congolais assassiné. Dans son livre, il dévoile avec une minutie saisissante les détails de ce qui s’est réellement déroulé en cette fin de matinée du mardi 16 janvier 2001, au Palais de Marbre, lorsque la main armée d’un garde du corps mit fin à la vie du Président Laurent-Désiré Kabila, Mzee.
16 janvier 2001…
Le Président congolais Laurent-Désiré Kabila est assassiné alors qu’il travaillait dans son bureau au Palais de Marbre, accordant quelques audiences dites « de routine ». Dans son ouvrage intitulé « Laurent-Désiré Kabila, Ma part de vérité – Témoignage pour l’Histoire », l’auteur revient sur les heures qui ont suivi cet événement tragique. À travers des extraits poignants tirés des pages 120, 121 et 122, il dévoile les détails de la gestion de cette situation dramatique et inédite.
« Mais, comme on le verra par la suite, l’attitude responsable de Eddy Kapend sera mal interprétée ; le procès sur l’assassinat de Mzee sera, pour ce dernier, un procès à charge alors que ce brave compatriote ne faisait que son de voir.Moi aussi, je ne pensais qu’à mon devoir. J’ai pris l’initiative d’étendre le cercle de la réflexion. Je trouvais en effet important que l’on réfléchisse ensemble sur la grave situation. J’ai appelé le Chef de la Garde présidentielle ; le Général Tango Tango. J’ai fait venir certains ministres. Je demanderai à l’intendant du Président d’envoyer un avion pour aller chercher le Général Joseph Kabila qui était au Katanga. Pour moi, sa présence était indispensable et naturelle : il était l’aîné de la famille. J’ai appelé aussi les Généraux Yav, Olenga et Lwetcha.
Dans la nuit, j’apprends – par Eddy Kapend qui venait d’être informé par Mashako – la mort de Mzee. La tension s’amplifiait… Je me souviens de Eddy Kapend me demanda, inquiet : ‘’Mais qu’est-ce qu’on va faire ?’’
En effet, il fallait réfléchir rapidement, avant que la panique nous domine, nous pousse à des actions infructueuses et maladroites. L’avion qui ramenait Joseph Kabila à Kinshasa arriva vers 2 heures du matin. Arrivé à Kinshasa, Joseph Kabila se rendra tout de suite à la Cité de l’OUA, sous la protection du Général zimbabwéen Tshingombe qui commandait ‘’Task Force’’. La même nuit, vers 3h du matin, nous allions gagner à notre tour la Cité de l’OUA. Nous y trouverons le Général Olenga, et deux autres généraux zimbabwéens. J’étais le seul civil. Je n’ai pas pris des gants et je leur ai annoncé sans détours : ‘’Mzee est mort…’’
Un silence lourd planait au-dessus de nous. La tension était extrême. Une tristesse indicible habitait chacun de nous. Mais j’ai poursuivi mon propos en m’adressant à Joseph : ‘’Ecoute, tu es un homme… La situation est grave. II faut prendre tes responsabilités.’’ Le Général [Zimbabwéen] Tshingombe prit mal ma suggestion : ‘’Mais la politique, c’est une affaire de civils…’’Je continuais sur ma lancée : ‘’Il faut sauver la nation… Il n’y a que le fils de Kabila pour assurer la relève… ‘’
Eddy Kapend était d’accord, le Général Olenga aussi. Joseph était d’accord, aussi, évidemment. C’est encore moi qui allais proposer l’évacuation du corps de Mzee pour Harare. Séance tenante, nous allions appeler au téléphone le Chef d’Etat-major zimbabwéen. Il était lui aussi choqué par la nouvelle. Il donna son accord sans hésiter. Le Président Mugabe était en Egypte, en visite officielle. J’ai insisté pour avoir son numéro de téléphone. Je connaissais la force de l’amitié qui unissait Mzee et Mugabe, ces deux africains intransigeants.
Le Président Mugabe, que je fais réveiller en pleine nuit, est atterré par la nouvelle. Il était au bord des larmes. Je lui ai expliqué la délicate mission dans laquelle la mort de son ami nous plongeait. Pour moi, la dépouille devrait être à l’abri de l’agitation qui commençait à gagner la ville. Nous ne savions pas comment les choses allaient évoluer.
Nous nous sommes rendus à la Clinique Ngaliema. J’ai fait venir les médecins, infirmiers et autres auxiliaires médicaux qui veillaient sur le corps de Mzee. Je leur ai expliqué, sur un ton solennel et ferme : ‘’Ecoutez-moi. La mort d’un Président est une situation politique grave, une affaire d’Etat. Je vais faire appel à votre sens de responsabilité. Je vous demande de garder ce secret avant la diffusion officielle de la nouvelle. De toutes les façons, à partir de cet instant, vous ne pouvez plus rentrer chez vous… On vous amène à Harare [Zimbabwe].’’
Pendant que je parlais, le corps de Mzee gisait sur un lit : le Président souriait… Oui, Mzee est mort avec le sourire aux coins des lèvres. J’ai eu un pincement au cœur… Cette image du Président gisant sur un lit, banal, sans vie, me hante encore…
Le premier scénario était de transporter le corps de Mzee par hélicoptère. Mais ça n’a pas marché : le siège était trop étroit. Nous avons dû nous rendre alors en voiture, en utilisant l’ambulance de l’hôpital. L’hélicoptère nous avait précédés. Tout le personnel de l’hôpital qui était au courant de l’accident était embarqué pour l’étrange voyage à destination de Harare. Y compris le chauffeur de l’ambulance…
Le lendemain matin, nous avions dû maintenir, tant au niveau des médias que des institutions de la République, la version suivante : Le Président a été victime d’une tentative d’assassinat. Il a été grièvement blessé, mais il n’est pas mort. Il est au Zimbabwe en soins intensifs.
Mais notre stratégie sera très vite battue en brèche à cause du comportement de certains ministres qui, pris de peur, sont allés demander asile auprès de certaines ambassades, celle de la Belgique notamment. Et celle-ci éprouvera un malin et malsain plaisir à annoncer dans les médias internationaux la mort de Mzee. Je dois reconnaître que la fuite dans les médias de masse provenait aussi des autorités zimbabwéennes ; elles n’étaient pas aussi précautionneuses comme nous. Et cela se comprend.
La priorité était alors pour nous de combler le vide laissé par Mzee : un grand vide au regard de sa forte popularité. Il nous fallait installer son fils à ce poste laissé vacant. Si la plupart des ministres que nous contactions étaient d’accord, il fallait tout de même formaliser la procédure en passant par le Parlement. Je pensais que Joseph Kabila avait besoin de l’aval du Peuple à travers le Parlement. J’irai au Parlement présenter la proposition du Gouvernement de porter Joseph Kabila au poste de Président… Les parlementaires ont approuvé notre démarche. Je tiendrais par la suite une conférence de presse au Grand Hôtel, peu avant les funérailles ».
Georges Mirindi : « Mzee n’a pas été tué ou assassiné de la manière dont on nous raconte »
Membre de la garde rapprochée du président Laurent-Désiré Kabila, le lieutenant Georges Mirindi a attendu la fin du dernier mandat de « Joseph Kabila » pour publier sa version des faits sous la forme d’un ouvrage de 632 pages, édité aux éditions Vérone. « Mzee n’a pas été tué ou assassiné de la manière dont on nous raconte », souligne-t-il en préambule.
Selon Georges Mirindi, le corps du président Laurent-Désiré Kabila était déjà sans vie bien avant que les impacts de balles ne soient constatés sur sa dépouille.
Pour lui, les « puissants » de l’époque auraient orchestré une « mise en scène » visant à « camoufler » un véritable coup d’État de palais. Mirindi affirme que l’assassin présumé de Laurent-Désiré Kabila ne se nomme pas Rachidi Kasereka, mais bien Rachid Muzele Mweze, qu’il s’empresse de disculper. Il désigne plusieurs personnalités comme dépositaires du « grand secret » : « Joseph Kabila », Augustin Katumba Mwanke (alors gouverneur du Katanga), Jeannot Mwenze Kongolo, Émile Mota (présenté comme témoin oculaire) et Eddy Kapend Irung, aide de camp de Mzee.
Résumé de son livre « La mort de Laurent Désiré Kabila : ne nie pas c’était bien toi »
Kinshasa. Mardi 16 janvier 2001. Il est midi lorsque des tirs à l’arme automatique retentissent au Palais de marbre qui sert de bureau et de résidence officielle au président Laurent-Désiré Kabila. Celui-ci se préparait à s’envoler pour Yaoundé, au Cameroun, afin de participer au sommet France-Afrique.
Membre de la garde rapprochée du chef de l’Etat congolais, Georges Mirindi était rentré chez lui pour chercher sa valise en prévision du voyage présidentiel.
Agent de sécurité chargé notamment d’introduire les visiteurs au bureau du Président, Annie Kalumbu entend des détonations dans le bureau présidentiel. Elle fait irruption. A sa grande surprise, elle trouve le Mzee assis mais immobile. Emile Mota, le « dircaba » chargé des questions économiques était également sur le lieu. L’homme est ceinture noire de karaté.
Le colonel Eddy Kapend
D’après Georges Mirindi, « Annie » aurait surpris Mota entrain de « subtiliser » les douilles.
Ministre de la Santé au moment des faits, Dr Léonard Mashako Mamba, présent au Palais de marbre, constate des impacts de balles sur le corps inanimé. Curieusement, le cadavre ne baigne pas dans une mare de sang.
A l’extérieur du bâtiment, un mélodrame s’y déroule. Le colonel Eddy Kapend – qui n’est pas censé connaitre la situation exacte du Président – vient de vider le chargeur de son AK 47 sur l’un des gardes du corps de Mzee, accusé, par la clameur, d’être le « tueur ». Selon la version officielle, l’homme s’appelle Rachidi Kasereka Mizele. Mirindi assure que son infortuné collègue s’appelait Rachid Mweze Muzele. Celui-ci est décrit comme un homme « humble et aimable ».
L’exécution de Masasu
Mirindi est formel : « Le Mzee n’a pas été tué ou assassiné de la manière dont on nous raconte ». « Beaucoup d’innocents sont morts ou en prison pour rien », ajoute-t-il en soulignant que les « Kadogos », venus avec Mzee depuis le Kivu, ont été « faussement accusés » d’avoir tué le Président pour « venger » leur « leader bien aimé » Anselme Masasu Nindaga, exécuté en novembre 2000 au village Kantonia près de Pweto, au Katanga.
Dans une longue évocation, Mirindi commence par relater l’ambiance oppressante qui régnait à la Présidence de la République avant la date fatidique du 16 janvier 2001. Il dénonce le « clanisme », le « tribalisme » et la « course à l’enrichissement ». « L’entourage de Mzee a commencé à se comporter pire que celui de feu Mobutu », glisse-t-il.
Trois mois après la « libération » du 17 mai 1997, le Mzee et Anselme Masasu, un des co-fondateurs de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) sont à couteau tiré. Le second est suspecté de préparer un putsch. Il est arrêté et jeté en prison à Buluo, près de Likasi, « à la grande satisfaction » de « Joseph Kabila » (chef d’état-major des forces terrestres), de Gaétan Kakudji (ministre de l’Intérieur) et de Jeannot Mwenze Kongolo (ministre de la Justice).
En juillet 1998, le Mzee rompt la « coopération militaire » de son pays avec l’Ouganda de Yoweri Kaguta Museveni et le Rwanda de Paul Kagame, ses anciens parrains. Dès le 2 août, une nouvelle guerre est lancée. Une nouvelle « rébellion congolaise » voit le jour sous la dénomination de « Rassemblement Congolais pour la démocratie ».
La chute de Pweto
D’après Mirindi, Laurent Désiré Kabila ne pouvait guère compter sur l’armée congolaise pour défendre l’intégrité du territoire national. Pour l’ancien garde du corps, les troupes impayées étaient « hautement tribalisées ». Les généraux, eux, n’avaient la moindre connaissance en doctrine militaire. C’est ainsi que le Mzee ne comptait plus que sur les alliés zimbabwéens, angolais et namibiens.
Pour protéger la ville de Lubumbashi, Laurent Désiré Kabila avait fait déployer un véritable arsenal à Pweto. La chute de cette localité en décembre 2000 « a provoqué une grande débandade au sein de l’armée mais aussi chez les alliés ». Chef d’état-major des forces terrestres, « Joseph » a trouvé refuge en Zambie.
Furieux, Laurent Désiré Kabila « avait ordonné d’identifier et de fusiller » tous les commandants de brigades, bataillons et compagnies et les officiers de leurs états-majors ayant fui à Pweto « les accusant de haute trahison ». A en croire Mirindi, des doigts accusateurs étaient pointés sur le général-major « Joseph Kabila ». Tous les commandants l’ont accusé d’être celui qui abandonnait « aux rebelles les villes avec armes et munitions ». Parmi les accusateurs, il y a le général Jean-Léon Mabila, commandant des opérations à Mbandaka. L’officier est mort en détention à la prison de Makala sous la Présidence de « Joseph ».
Le général-major « Joseph Kabila »
Selon Mirindi, plusieurs rapports accusateurs abondaient dans le même sens. « Le Mzee avait décidé de faire fusiller ‘son fils’ (Entendez: Joseph) pour haute trahison ». Celui-ci aurait eu la vie sauve grâce au gouverneur Katumba Mwanke. Des témoignages recueillis auprès des « rebelles » faits prisonniers confirmaient les soupçons sur « Joseph ». Eddy Kapend était également dans le collimateur de Mzee pour avoir « dissipé » plusieurs millions en dollars destinés à l’achat d’armes.
D’après Mirindi toujours, le Mzee a, dès ce moment, pris la résolution de « purger » l’armée. Il l’aurait confirmé au cours d’une « causerie morale » qu’il a tenue le 28 décembre 2000 au camp militaire Kimbembe à Lubumbashi. Pour l’ex-garde du corps, Laurent Désiré Kabila venait de signer son arrêt de mort. « Les concernés ont agi avant que le Président ne prenne des mesures contre eux ».
Quid des Libanais exécutés?
Selon la version officielle, les identités de ceux-ci auraient été trouvées dans une des poches de « Rachid ». « Faux », rétorque Mirindi qui assure que deux de ces Libanais avaient « détourné » des millions de francs congolais expédiés frauduleusement en zone rebelle afin de les échanger contre la devise américaine. Les deux hommes ayant péri sous la torture, il a été décidé par le général Yav Nawej d’éliminer tous les onze afin de ne pas laisser des témoins gênants.
Qui a tué le Mzee ?
Georges Mirindi sera arrêté ce même 16 janvier 2001. Torturé dans le tristement célèbre immeuble « GLM » (Groupe Litho Moboti), l’ex-garde du corps, qui vit en exil en Europe, se considère comme un « miraculé » pour avoir échappé à l’exécution au camp de Kibomango. Et ce en « soudoyant » le bourreau nommé Salumu Mubekwa, alias Sharp Sharp.
Pour lui, les différentes « commissions d’enquête » mises en place ne cherchaient nullement à faire éclater la vérité sur les circonstances exactes de la mort de Mzee. Elles cherchaient, selon lui, à faire triompher la version officielle. Les « suspects » soumis à la torture devaient « avouer » les « faits » relayés par les médias. « Le président Laurent Désiré Kabila n’a sûrement pas été assassiné par Rachid, et sûrement pas à l’heure qu’on nous décrit et incroyablement pas de la façon que les Mota, Eddy Kapend, Mwenze Kongo… nous décrivent », écrit-il.
D’après Mirindi, Eddy Kapend et « Joseph Kabila » auraient pillé les résidences de Mzee respectivement à Kinshasa et à Lubumbashi. Le défunt y entreposait des cartons de francs congolais, des devises étrangères, de l’or et des diamants. Les deux hommes se seraient chamaillés lors du partage du butin. Mirindi de marteler: « La vérité sur la mort de Mzee Kabila ne se trouve nulle part ailleurs qu’au sein du régime qui a pris le pouvoir le 16 janvier 2001 ».
Qui a, finalement, tué le Mzee LD Kabila? Comme pour y répondre, Mirindi dit son « trouble » en apprenant cette déclaration faite le 18 janvier 2001 par le ministre de l’Information d’alors, Dominique Sakombi-Inongo : « Puisque l’assassin a été tué alors, il n’y aura tout simplement pas d’enquêtes ». Le méga-procès des « présumés assassins » n’a pas non plus généré la « lumière ».
Eddy Kapend, le principal condamné dans le meurtre de Kabila père, clame son innocence
Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux et les groupes WhatsApp congolais, datée du 16 janvier 2018, jour anniversaire de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, on aperçoit une scène filmée lors d’une messe de commémoration organisée à la prison de Makala, à Kinshasa. Cette vidéo met en lumière le colonel Eddy Kapend, condamné comme principal accusé et souvent présenté comme le commanditaire de ce meurtre. Invité à prendre la parole, il prononce un discours de 13 minutes, capturé intégralement, dans lequel il livre sa version des faits concernant cette affaire.
Du récit fait par la Radio France Internationale, Eddy Kapend ne pouvait sans doute pas ignorer qu’il était filmé, dans l’église, on le voit en uniforme de l’armée congolaise se préparer avant de rejoindre le pupitre. Il dit s’adresser à tous ceux « ici présent et au-delà d’ici à tous ceux qui peuvent écouter » et le colonel Eddy Kapend raconte d’abord ce meurtre. Il était 12h55, c’était un mardi comme aujourd’hui, dit le prisonnier. « Le président Kabila était dans son bureau, il parlait avec son directeur de cabinet, ils étaient à deux », précise Eddy Kapend.
Il raconte comment l’un des gardes du corps du président, Rachidi Muzembe, est entré par une porte arrière et a tiré les trois balles sur Laurent-Désiré Kabila, mort sur le coup, précise le colonel Kapend qui assure ne pas avoir été dans la pièce à ce moment-là. « Le pays s’est arrêté ce jour-là », estime-t-il. Un pays à l’époque en pleine guerre, divisé entre le gouvernement à Kinshasa et les rébellions RCD et MLC. « Tous les assassins de Kabila, tous les commanditaires, tous les traitres, tous ceux qui l’ont abandonné, ils sont tous en liberté. Ne sont en prison que les innocents », lance par deux fois Eddy Kapend depuis la prison de Makala où il croupissait depuis 17 ans « injustement », répète-t-il.
« J’étais le fidèle des fidèles »
L’ancien aide de camp de Laurent-Désiré Kabila semble aussi avoir un message à faire passer sur la situation actuelle du pays. « Lorsque Kabila dit : ne jamais trahir la République démocratique du Congo, il demande à ce qu’on ne trahisse jamais son peuple, ses valeurs, ses lois », lance l’ancien aide de camp de Laurent-Désiré Kabila. « Moi, j’étais le fidèle des fidèles », assure encore Eddy Kapend. « Et tout ce qui a suivi, c’est à cause de votre amour pour lui », raconte le prisonnier.
A la fin de son discours, visiblement ému, celui qui est présenté comme le commanditaire du meurtre demande à ce que l’on se souvienne de Laurent-Désiré Kabila comme d’un héros « arraché à notre affection par les forces du mal, des forces du mal qui continuent toujours à exercer des manèges, des tactiques, des combines, pour pouvoir perpétrer des crimes ».
Le 8 janvier 2021, à Kinshasa, une vingtaine de prisonniers ont été libérés de la prison de Makala, après avoir été condamnés il y a 20 ans par une cour militaire pour l’assassinat de l’ancien président Laurent-Désiré Kabila. Parmi eux se trouvait le Colonel Eddy Kapend, ancien aide de camp du défunt président. Depuis près de deux décennies, des organisations de défense des droits de l’homme avaient vivement critiqué leurs condamnations, estimant qu’elles avaient été prononcées dans la précipitation. Leur libération intervient quelques semaines après que le président Tshisekedi ait mis fin à sa coalition avec le parti de M. Kabila, qui détenait la majorité au Parlement, dans un contexte marqué par une tension croissante.
Les présages de la disparition de Laurent-Désiré Kabila, selon Mwamba Tshibangu
Dans son ouvrage intitulé « Joseph Kabila, la vérité étouffée » de Mwamba Tshibangu publié en octobre 2005 aux éditions L’Harmattan, Mwamba Tshibangu aborde en profondeur l’émergence de ce qu’il qualifie de “contre-figure” Kabila II (Joseph Kabila), qu’il oppose à la figure de Kabila I (Laurent Désiré Kabila). Cette dynamique complexe n’est pas simplement une question de succession politique, mais une véritable reconfiguration du pouvoir en République Démocratique du Congo, marquée par des événements mystérieux et des circonstances souvent énigmatiques.
L’ascension de Joseph Kabila au pouvoir, décrite par Tshibangu, ne peut être comprise sans évoquer les conditions dramatiques et imprévues de la mort de son père, le président Laurent-Désiré Kabila. Cette disparition subite, qui a bouleversé le paysage politique du pays, ne semblait cependant pas totalement inopinée. Elle avait en effet des signes annonciateurs, et plusieurs analystes s’accordent à dire que cette mort précipitée a été le catalyseur d’une réorganisation rapide du pouvoir, facilitant l’accès au trône de Joseph Kabila, un jeune homme alors encore inconnu du grand public.
Certaines insinuations vont même plus loin, suggérant que l’ascension au pouvoir de Kabila II aurait été l’aboutissement d’un plan savamment orchestré par des forces occultes, visant à se débarrasser d’un Laurent-Désiré Kabila jugé gênant par certains lobbies internationaux et nationaux. Le président Kabila père, par ses positions fermes et ses revirements stratégiques, semblait en effet déplaire à de nombreuses puissances extérieures et à certains acteurs de l’élite locale, qui y voyaient un obstacle à leurs intérêts géopolitiques et économiques.
Cette interprétation de la prise du pouvoir par Joseph Kabila soulève des interrogations profondes. D’une part, la précipitation avec laquelle l’Occident a accueilli l’arrivée au pouvoir du jeune Joseph Kabila, alors qu’il était encore un inconnu dans les arcanes du pouvoir, a suscité de nombreuses spéculations. Comment expliquer cet accueil enthousiaste d’un homme sans expérience politique notable, surtout après un événement aussi dramatique qu’un assassinat au sommet de l’État ? Cette réaction de l’Occident n’a cessé de susciter des interrogations chez les analystes et les observateurs, qui voient dans cette rapidité une volonté d’accompagner un changement jugé plus favorable aux intérêts occidentaux.
Ainsi, l’ascension de Joseph Kabila apparaît moins comme le simple fait du hasard ou une succession normale que comme un mouvement savamment orchestré dans un contexte géopolitique et économique complexe, où la disparition de Laurent-Désiré Kabila n’a été qu’un élément d’un puzzle bien plus vaste. L’auteur invite donc à une réflexion plus approfondie sur les véritables enjeux cachés derrière cette transition de pouvoir et sur les implications de l’émergence de cette “contre-figure” qui allait incarner une nouvelle ère pour la RDC.