71.98 F
Kinshasa
2 octobre, 2025 - 07:21:46
Image default
La uneInterviewsPolitique

Affaire de la prison de Kisangani : le député Olivier Katuala en première ligne pour la transparence [Interview]

Dans un paysage politique miné par les soupçons de malversations et les pratiques opaques, certaines voix choisissent de ne pas se taire. Celle d’Olivier Katuala, député de Lukunga à Kinshasa, s’élève avec constance et rigueur pour réclamer transparence et reddition des comptes. Juriste de formation, membre influent de la commission Politique, administratif et juridique (PAJ) et du Réseau des jeunes parlementaires, il a adressé, le 14 mai 2025, une question d’actualité au Ministre d’État en charge de la Justice. En ligne de mire : les zones d’ombre entourant le projet de construction d’une prison à Kisangani. Loin de tout sensationnalisme, Katuala plaide pour la vérité, sans renier le principe de la présomption d’innocence. Dans une interview exclusive, il revient sur cette affaire avec une précision et une retenue qui contrastent avec le climat délétère ambiant.

Interview

Honorable Katuala, on observe une divergence apparente entre le communiqué du Ministre de la Justice, qui affirme qu’aucun contrat de 39 millions USD n’a été signé, et la lettre qu’il a adressée à la CENAREF, dans laquelle il est fait mention d’un marché initialement conclu à ce montant, puis ramené à 29 millions. Comment comprenez-vous cette situation, et en quoi cela soulève-t-il, selon vous, une question de transparence dans la gestion de ce dossier ?

Merci pour cette question. En effet, cette contradiction entre les deux documents officiels est préoccupante. En tant que parlementaire, je suis convaincu que la transparence est une valeur fondamentale pour la bonne gouvernance. Cette incohérence soulève des questions légitimes sur la cohérence des informations communiquées au public et aux instances de contrôle. C’est pourquoi j’ai décidé d’initier une question d’actualité pour obtenir des clarifications directement du Ministre d’Etat en charge de la Justice. Il est essentiel que nous dissipions cette confusion afin de préserver la confiance des citoyens dans nos institutions. Je reste cependant convaincu qu’il est important de respecter le principe de la présomption d’innocence et d’attendre les explications nécessaires avant de tirer des conclusions hâtives. Peut-être y a-t-il une erreur administrative ou un malentendu, et je suis ouvert à entendre les justifications officielles.

En tant que juriste, pourriez-vous expliquer les conditions dans lesquelles un marché de gré à gré est autorisé par la loi congolaise, et, à la lumière des informations disponibles, ces conditions ont-elles été respectées dans le cas du projet de prison à Kisangani ? La lettre du Ministre mentionne une autorisation spéciale et un avis de non-objection ; pourriez-vous demander qu’on vous les produise ?

Certes. La loi congolaise sur les marchés publics, notamment la loi n° 10/010 du 27 avril 2010, encadre strictement les marchés de gré à gré. Ce type de procédure n’est autorisé que dans des cas exceptionnels, tels que des situations d’urgence extrême où un retard causerait un préjudice majeur à l’État, ou lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par un prestataire unique en raison de droits exclusifs ou de spécificités techniques, comme le soulignent les articles 42 à 46. Dans le cas du projet de prison à Kisangani, il n’est pas évident que ces conditions aient toutes été remplies. De plus, la société Zion Construction, qui aurait été créée en mars 2024, pourrait ne pas disposer de l’expertise ou de l’expérience requise, comme l’exige l’article 43 de la loi. Concernant l’autorisation spéciale et l’avis de non-objection mentionnés, je demande expressément qu’on me produise ces documents pour vérifier leur existence et leur conformité aux exigences légales. Cela permettra d’éclaircir si toutes les étapes ont été respectées, tout en présumant que les autorités ont agi dans le cadre de la loi.

Selon le décret n° 23/12 du 3 mars 2023, le Ministre du Budget est l’autorité compétente pour approuver les marchés publics nationaux, et non la Première Ministre, à qui le Ministre de la Justice a adressé sa demande. S’agit-il d’une erreur procédurale ?

Effectivement, le décret n° 23/12 est clair : l’article 21 précise que le Premier Ministre n’approuve que les marchés publics issus d’appels d’offres internationaux ou ceux passés par le Ministère du Budget, tandis que le Ministre du Budget est compétent pour les appels d’offres nationaux. Le fait que la demande d’approbation ait été adressée à la Première Ministre, qui n’est pas l’autorité d’approbation réglementaire désignée, constitue une irrégularité procédurale. Cela signifie que l’approbation ‘implicite’ invoquée par le Ministre de la Justice ne peut être considérée comme valide, car la demande n’a pas été soumise auprès de l’instance compétente. Cette situation pourrait compromettre la validité juridique du contrat, ce qui est une question sérieuse. Je demande donc des clarifications pour comprendre pourquoi cette erreur a été commise et quelles mesures seront prises pour y remédier, tout en respectant le principe selon lequel toute partie doit avoir l’opportunité de s’expliquer.

L’article 24 du décret n° 23/12 exige un contrôle a priori de la DGCMP pour tout marché de travaux publics dépassant 13 millions USD, ainsi qu’une autorisation spéciale pour un marché de gré à gré. Ce contrôle a-t-il été effectué dans ce cas, et quelles seraient les conséquences si ce n’était pas le cas ?

Le contrôle a priori par la Direction Générale du Contrôle des Marchés Publics (DGCMP) est une étape obligatoire pour garantir que les marchés publics respectent les principes de transparence, de concurrence et de bonne gestion. Pour un projet de cette ampleur, dépassant largement le seuil de 400 millions de francs congolais – soit 13 millions USD -, ce contrôle est indispensable, comme le précise l’article 24 du décret. Or, rien dans les informations disponibles ne confirme que ce contrôle ait été réalisé. Si tel est le cas, cela constituerait une violation grave des procédures légales, ce qui pourrait entraîner l’annulation du contrat ou des poursuites judiciaires. Je demande donc au Ministre d’Etat Mutamba de confirmer si ces obligations ont bien été respectées, car cela est important pour l’intégrité du processus. Cela dit, je tiens à souligner que nous devons attendre les réponses officielles pour évaluer la situation dans son ensemble, en présumant que les autorités ont agi dans le respect de la loi.

La lettre du Ministre de la Justice mentionne un paiement de 19 millions USD à Zion Construction, soit 65 % du financement total, mais le Ministère des Finances affirme qu’« aucun paiement n’a été effectué, ni par la Trésor public, ni à partir d’un compte relevant de sa gestion ». Si ce versement a bien eu lieu, quelle en serait la source de financement, et était-il prévu dans la loi des finances 2025 ?

Cette divergence entre les deux ministères est particulièrement alarmante. Si un paiement de 19 millions USD a effectivement été effectué, il est impératif de connaître l’origine de ces fonds et de vérifier s’ils figuraient dans la loi des finances 2025, comme le prévoit notre cadre budgétaire. Toute dépense publique doit être transparente et conforme aux dispositions légales. Le fait que le Ministère des Finances nie ce paiement alors que le Ministre de la Justice l’évoque dans sa lettre adressée à la Cenaref soulève des interrogations sur la gestion financière de ce projet. Je demande donc une clarification détaillée sur la source de ces fonds et leur conformité avec les règles budgétaires, car cela touche directement à la responsabilité dans la gestion des deniers publics. Cela étant, je crois fermement en l’importance de laisser au Ministre d’Etat en charge de la Justice l’opportunité de s’expliquer, dans le respect de la présomption d’innocence.

Pourriez-vous nous éclairer sur ce que pourraient être les termes du contrat avec Zion Construction, en vous fondant sur les pratiques standards pour ce type de projet ? Et selon vous, ces termes seraient-ils conformes aux exigences légales en matière de marchés publics ?

Bien que je n’aie pas accès au contrat lui-même, je peux dire que, en général, un contrat de marché public pour des travaux de construction doit inclure des éléments précis tels que les spécifications techniques, les délais d’exécution, les pénalités en cas de retard, les garanties bancaires et de performance, les modalités de paiement, etc. Ces éléments sont essentiels pour protéger les intérêts de l’État et s’assurer que le projet est mené à bien, conformément aux articles 43 à 46 de la loi sur les marchés publics. Dans le cas présent, compte tenu des controverses entourant ce projet, il est nécessaire que ces termes soient clairement définis et conformes aux exigences légales. Je demande donc que les détails du contrat soient rendus publics afin que nous puissions évaluer sa conformité et sa pertinence, tout en présumant que les parties impliquées ont agi dans le cadre de la loi.

Pour finir, lorsqu’un sujet brûlant est abordé au Parlement, comme c’est le cas avec la question d’actualité que vous avez initiée, quelle est la règle qui lui confère la priorité par rapport aux questions orales sur le même sujet, déposées en même temps par vos collègues, notamment en termes de délai de réponse et de traitement ? 

Le Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale (articles 191 et 192) précise que la question d’actualité, en raison de son caractère urgent, doit être traitée dans un bref délai. Contrairement aux questions orales ou écrites qui, même si elles portent sur le même sujet, sont soumises à un ordre de priorité basé sur leur dépôt, la question d’actualité bénéficie d’une primauté spécifique. En effet, le ministre ou le gestionnaire public dispose d’un délai de 72 heures à partir de la réception de cette question d’actualité pour y répondre, ce qui lui confère une obligation de réactivité immédiate. Ainsi, malgré le dépôt simultané de plusieurs questions orales sur le même sujet, la question d’actualité que j’ai déposée prévaut et doit être examinée en priorité.

Propos recueillis par Pitshou Mulumba

ça peut vous intéresser

Laisser un Commentaire

Infos27.CD utilise des cookies pour améliorer votre expérience utilisateur. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En Savoir Plus