Quelques heures à peine après la signature à Washington des accords de paix et de prospérité entre la République démocratique du Congo, le Rwanda et les États-Unis, André Wameso, gouverneur de la Banque centrale du Congo, s’est avancé devant la presse lors d’un briefing spécial, aux côtés du vice-Premier ministre en charge de l’économie nationale, Daniel Mukoko Samba, de la ministre d’État des affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba, et du ministre de la communication et des médias, porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, pour défendre le volet économique d’un cadre régional présenté comme l’un des piliers de la pacification de l’est du pays. Son intervention a replacé l’accord dans une perspective historique longue, mêlant souveraineté, géoéconomie et mémoire industrielle. « Ce cadre d’intégration économique régionale ne peut entrer en vigueur que s’il y a un retour total de la paix dans nos pays », a rappelé d’emblée l’économiste, insistant sur la nature conditionnelle d’un dispositif appelé à transformer la place du Congo dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. La paix, selon lui, n’est pas un simple préalable, mais la clé de voûte d’une architecture économique inédite.
André Wameso a immédiatement répondu aux accusations selon lesquelles la RDC sortirait perdante de cet accord : « Certains disaient que, dans ce qui se prépare, la République démocratique du Congo est perdante. C’est toujours la spéculation quand on parle de la RDC. Mais le cadre sera public. Tout le monde pourra le lire. »
Le gouverneur a détaillé ce qui, selon lui, constitue le cœur de la mutation en cours : la fin d’un pillage structurel organisé autour des guerres à l’est : « L’exploitation illicite de nos ressources par le Rwanda est une réalité. Il fallait régler ce problème. La raison fondamentale de la guerre, c’était piller nos ressources pour fournir l’industrie du numérique. »
En conséquence, affirme-t-il, le nouveau cadre économique marque une rupture fondamentale : « Le cadre d’intégration économique régionale affirme d’abord une chose : la souveraineté de la RDC sur ses ressources. »
Cette souveraineté s’incarne notamment dans un principe simple, mais inédit : un produit extrait au Congo devra être reconnu comme congolais, même s’il transite temporairement par un pays voisin. « Il faut d’abord faire en sorte qu’un produit qui vient du Congo soit estampillé “made in Congo”, même s’il devait passer par le Rwanda. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. »
Industries locales, coopération facultative et construction d’un avenir économique
L’accord garantit à chaque État la liberté de développer ses propres capacités industrielles : « On garantit à chaque pays de pouvoir développer lui-même ses industries minières, de pouvoir transformer chez lui. C’est garanti. »
La coopération bilatérale, souvent interprétée comme une obligation, est clarifiée par Wameso : « Si les deux pays trouvent des terrains d’entente pour des développements communs, ils peuvent le faire. On ne dit pas qu’ils doivent travailler mutuellement. Ce n’est pas une obligation : c’est écrit noir sur blanc. »
Cette flexibilité, selon lui, permet d’éviter les dérives d’un modèle d’intégration qui imposerait des interdépendances non désirées. L’important est de créer les conditions d’une alternative aux circuits de contrebande qui, depuis trente ans, alimentent la violence et privent la RDC de ses revenus. « On ne peut pas prédire l’avenir, mais il faut le construire aujourd’hui. »
Renverser les routes du pillage
En assumant son rôle d’expert, Wameso n’a pas éludé les pressions américaines dans la structuration du corridor logistique intégré au texte : « Pourquoi insère-t-on Lobito ? Ce n’était pas notre idée. C’était un souhait des États-Unis. »
La logique géostratégique est transparente : « Les voies d’évacuation naturelles des produits qui passent par le Rwanda mènent à l’océan Indien. Où ? En Chine. »
Les États-Unis, parrains du cadre économique, souhaitent éviter que les minerais stratégiques congolais – cobalt, cuivre, tantale, terres rares, ne continuent de nourrir massivement l’industrie asiatique.
L’intégration du corridor de Lobito, reliant l’Angola, la Zambie et le Congo à l’Atlantique, répond à cet impératif. Elle vise à réorienter les axes commerciaux du Kivu, longtemps tournés vers le Rwanda, l’Ouganda et le Kenya.
« L’objectif, c’est d’inverser la tendance : faire en sorte que le Kivu, riche en ressources, ne soit pas tourné uniquement vers l’est, mais aussi vers l’ouest. »
La transformation envisagée dépasse la simple relocalisation des flux : elle implique une reconfiguration profonde de l’économie minérale congolaise. « Les terres rares, c’est le Maniema. Il y a un projet de route et même un projet ferroviaire qui relierait le Katanga au Maniema, puis au Kivu, avant de descendre vers le corridor de Lobito. »
Le Congo deviendrait ainsi l’un des rares pays capables de peser à la fois sur les marchés atlantiques et sur les chaînes d’approvisionnement industrielles globales.
Un tournant historique revendiqué
André Wameso rattache ce basculement à un changement politique majeur : « Ce tournant, nous le devons au leadership du président Tshisekedi. »
Ce leadership, dit-il, a permis que, pour la première fois depuis l’époque coloniale, les partenaires internationaux discutent avec le Congo et non au-dessus du Congo : « C’est une première historique que, pour accéder à nos ressources, on vienne en discuter avec le Congo et que l’on signe des accords avec les Congolais. »
Il y a, dans son propos, une volonté manifeste de replacer l’accord dans une trajectoire de dignité retrouvée.
Le sérieux comme condition d’entrée dans la nouvelle ère
Wameso conclut par une mise en garde, adressée aux Congolais : « Tout ceci ne pourra fonctionner qu’avec notre sérieux. C’est quand nous allons nous montrer des partenaires fiables que ce cadre portera ses fruits. »
La paix, la souveraineté, les infrastructures, l’intégration régionale, les chaînes de valeur, tout repose désormais sur la capacité de l’État congolais à consolider ses institutions et à garantir un environnement stable. « C’est notre responsabilité. C’est la clé de tout. »
Pitshou Mulumba, Envoyé Spécial à Wsahington DC

