Un bilan marqué par la douleur et l’échec
Joseph Kabila et son régime ont gouverné la République Démocratique du Congo (RDC) pendant 18 ans, laissant un lourd héritage de violations des droits humains, de pauvreté généralisée et d’inefficacité économique. Sous son règne, des figures emblématiques des droits humains, comme Floribert Chebeya, ont été assassinées dans des conditions choquantes, après avoir dénoncé les abus du pouvoir en place (Human Rights Watch, 2011). Fidèle Bazana, son collaborateur, a disparu dans des circonstances jamais élucidées, renforçant le climat de peur et d’impunité. Ces actes ne sont pas des exceptions, mais plutôt les symptômes d’un régime dont les priorités étaient tournées vers le maintien du pouvoir plutôt que la protection de ses citoyens.
Sur le plan symbolique, les humiliations envers les figures de l’opposition témoignent de la nature oppressive du régime. La dépouille d’Étienne Tshisekedi, leader historique de l’opposition congolaise, est restée bloquée à Bruxelles pendant plus d’un an faute d’un accord avec le gouvernement de Kabila (France 24, 2019). Cet acte, perçu comme une tentative de nier l’héritage politique de Tshisekedi, symbolise l’absence de respect envers les institutions et les figures qui s’opposent à la volonté du pouvoir en place. Parallèlement, le pays a été marqué par une corruption institutionnalisée et un enrichissement illicite des proches du régime, tandis que des millions de Congolais vivaient dans des conditions précaires. Selon Nzongola-Ntalaja (2021), « la captation des richesses nationales par une élite restreinte a privé la majorité de la population de toute perspective de développement ».L’échec du régime Kabila se mesure aussi par l’absence de progrès économiques et sociaux significatifs. Malgré les vastes ressources naturelles dont dispose la RDC, le pays a figuré parmi les plus pauvres du monde durant son mandat. Les infrastructures sont restées sous-développées, l’éducation et la santé publique ont été négligées, et les promesses de développement économique sont restées lettre morte. Ce bilan catastrophique soulève une question cruciale : sur quelle base Joseph Kabila et son clan peuvent-ils prétendre avoir changé ou acquis la légitimité nécessaire pour diriger de nouveau la RDC ?
Les prétentions au retour : hypocrisie ou amnésie politique ?
La tentative de Joseph Kabila et de son clan de revenir sur la scène politique suscite des interrogations légitimes. Comment peuvent-ils prétendre apporter des solutions aux problèmes actuels du pays alors qu’ils n’ont pas su les résoudre lorsqu’ils étaient au pouvoir ? Cette posture révèle une forme d’amnésie politique, où les responsables des échecs passés espèrent faire table rase de leur bilan. Leur opposition à une révision constitutionnelle, présentée comme un geste de respect des institutions, pourrait tout aussi bien être une stratégie visant à regagner une partie de l’opinion publique.
Selon des observateurs, cette opposition à la révision constitutionnelle est moins une question de principe qu’une opportunité politique. L’idée de soumettre cette question au référendum pourrait être un moyen de démontrer leur respect pour la volonté populaire. Mais l’histoire a démontré que le régime de Kabila avait peu de considération pour la démocratie participative. Les élections retardées, les répressions violentes contre les manifestants et les détournements de processus électoraux en sont des preuves tangibles (Human Rights Watch, 2019). Dans ce contexte, leur posture actuelle semble davantage motivée par le calcul que par une véritable conversion aux principes démocratiques.
Le retour de Kabila pose également la question de la confiance. Après 18 ans d’échecs cumulés, quels arguments peuvent-ils présenter pour convaincre le peuple congolais qu’ils feront mieux cette fois-ci ? Le passé, en politique comme dans la vie, reste un puissant indicateur de l’avenir. Comme le note Nzongola-Ntalaja (2021), « l’incapacité à gérer les ressources naturelles et humaines de manière responsable a été la marque de fabrique de ce régime ».
Un peuple trahi, mais pas dupe
Les Congolais, après des décennies de mauvaise gouvernance et d’abus systématiques, ne sont ni naïfs ni oublieux des années sombres du régime Kabila. Le retour de cet ancien président, soutenu par des alliances politiques suspectes, ne peut se faire sans répondre à des questions cruciales. Pourquoi Joseph Kabila et son équipe n’ont-ils pas réalisé les réformes structurelles nécessaires durant leurs 18 années au pouvoir, alors qu’ils disposaient d’un contrôle quasi-total des institutions ?
Le peuple congolais aspire à un leadership qui priorise les besoins collectifs et respecte les principes de justice sociale. Cependant, les souvenirs du passé – marqués par la répression brutale, l’enrichissement illicite et le détournement des ressources naturelles – continuent de hanter la mémoire collective. Selon Nzongola-Ntalaja (2021), la gestion de Kabila a été marquée par une exploitation systématique des ressources nationales pour alimenter une oligarchie tout en laissant la majorité des Congolais dans la pauvreté extrême. La question centrale demeure : pourquoi une population ayant été autant marginalisée sous ce régime devrait-elle lui accorder une seconde chance ?
Par ailleurs, l’absence de mea culpa ou d’effort de réconciliation de la part de Kabila et de ses alliés alimente davantage la méfiance. Un retour au pouvoir sans répondre à ces préoccupations risquerait d’aggraver les tensions sociales et politiques dans un pays déjà fragilisé par des conflits internes et une crise économique persistante.
La question de la crédibilité et de la responsabilité politique
La crédibilité de tout dirigeant repose sur sa capacité à répondre aux aspirations de la population et à assumer la responsabilité de ses échecs. Dans le cas de Joseph Kabila, l’incapacité à établir une gouvernance transparente et efficace constitue un obstacle majeur à son retour. Selon Mukwege (2018), « les dirigeants africains doivent comprendre que la bonne gouvernance et le respect des droits humains ne sont pas des options, mais des obligations ».
De plus, l’absence d’une réforme significative du secteur judiciaire et sécuritaire sous son règne a contribué à l’impunité généralisée et à l’érosion de l’État de droit. Ce manque de volonté politique d’instaurer des institutions fortes et autonomes a non seulement perpétué la corruption, mais aussi alimenté l’instabilité. Kabila et son clan n’ont pas démontré qu’ils étaient capables d’offrir une alternative crédible à la gouvernance défaillante qu’ils incarnent.
Face à ces réalités, il est indispensable pour le peuple congolais de faire preuve de vigilance. La démocratie, bien qu’imparfaite en RDC, exige une rupture avec les pratiques rétrogrades du passé. Un retour de Joseph Kabila, sans garanties claires de changements structurels, équivaudrait à une régression.
Conclusion : Refuser le retour au passé, construire un avenir meilleur
Le retour de Joseph Kabila et de son régime ne représente pas une opportunité de redressement pour la République Démocratique du Congo, mais un risque de replonger le pays dans les travers du passé. Le peuple congolais a connu des décennies de souffrance, de pauvreté et de violations des droits humains sous son règne. Permettre à un tel régime de reprendre les rênes serait un affront aux aspirations profondes d’un peuple en quête de justice, de transparence et de progrès.
Comme l’affirme Mukwege (2018), « le futur de la RDC repose sur une rupture radicale avec les pratiques du passé ». Cette rupture ne peut être incarnée par des figures ayant failli dans leur mission de leadership. Dire non au retour de Kabila et de son régime, c’est dire oui à une RDC résolument tournée vers l’avenir, où le bien-être collectif prime sur les ambitions personnelles.
Les Congolais doivent saisir cette opportunité pour exiger des réformes profondes et soutenir des leaders visionnaires qui mettront en œuvre des politiques favorisant la prospérité partagée et l’inclusion. Le chemin est encore long, mais il commence par un refus catégorique de confier à nouveau le destin du pays à ceux qui l’ont trahi.
Références
• France 24. (2019). La dépouille d’Étienne Tshisekedi rapatriée à Kinshasa après deux ans d’attente. Récupéré de https://www.france24.com
• Human Rights Watch. (2011). DR Congo: Investigate Chebeya’s Death. Récupéré de https://www.hrw.org
• Mukwege, D. (2018). Pour mettre fin au viol comme arme de guerre : plaidoyer pour un engagement international. Paris : Gallimard.
• Nzongola-Ntalaja, G. (2021). The Congo: From Leopold to Kabila. London : Zed Books.
• Transparency International. (2020). Corruption Perceptions Index 2020. Récupéré de https://www.transparency.org
Par Jean Aimé Mbiya Bondo Shabanza
Vice-Président fédéral et Représentant Adjoint en charge de la Politique et de la Diplomatie Fédération des États-Unis d’Amérique, UDPS/Tshisekedi