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19 novembre, 2025 - 01:54:46
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Immunité ou impunité ? Bukanga-Lonzo : Matata, la fuite en avant d’un ancien Premier ministre acculé

Matata Ponyo ajoute un nouvel épisode à une longue série d’obstructions judiciaires dans le sulfureux dossier Bukanga-Lonzo. Sous couvert de défendre ses immunités parlementaires, le sénateur devenu député semble surtout orchestrer une stratégie de fuite en avant, multipliant recours dilatoires et manœuvres procédurales pour échapper à un procès, dont les enjeux dépassent largement sa seule personne. Car derrière cette posture se dessine le spectre d’un scandale d’État. Plus de 285 millions de dollars de fonds publics évaporés, un parc agro-industriel promis comme vitrine de la modernité congolaise transformé en désert d’herbes folles, et une opinion publique encore en attente de vérité sur ce projet pharaonique devenu symbole de gabegie. Le peuple congolais, lassé des impunités de caste, réclame des comptes. C’est donc la solidité de l’État de droit qui se joue ici, dans cette épreuve de force entre une justice qui tente de faire valoir son autorité et une élite politique qui n’hésite pas à instrumentaliser les institutions pour se soustraire à toute reddition de comptes. L’affaire Bukanga-Lonzo, projet mort-né nourri par les rêves de grandeur et les soupçons de prédation, demeure une plaie ouverte dans la mémoire collective congolaise. Et tant que ses auteurs présumés continueront à éluder la justice, c’est la promesse même d’une gouvernance éthique qui restera en suspens.

Alors que son procès pour détournement de fonds dans l’affaire Bukanga-Lonzo entre dans une phase décisive, le député national et ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo a annoncé, dans une correspondance adressée le 21 avril 2025 au président de la Cour constitutionnelle, qu’il ne comparaîtra plus devant cette juridiction. S’appuyant sur une prise de position, du reste controversée, du président de l’Assemblée nationale, il estime que les poursuites à son encontre violent ses immunités parlementaires.

Mais à y regarder de plus près, cette nouvelle manœuvre apparaît comme un énième subterfuge dans une procédure judiciaire qu’il n’a eu de cesse de perturber depuis son ouverture. En refusant de se présenter aux audiences, Matata Ponyo relance une polémique institutionnelle déjà nourrie par une interprétation discutable du droit parlementaire et constitutionnel.

Dans sa lettre, le président du parti Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD) rappelle que la plénière de l’Assemblée nationale du 17 avril 2025 a conclu à l’inconstitutionnalité des poursuites engagées à son encontre. « Ces poursuites sont exercées contre un député national que je suis, couvert par mes immunités parlementaires », écrit-il. Il en conclut que la Cour constitutionnelle doit suspendre la procédure et se conformer au règlement intérieur du Parlement.

Une ligne de défense fragilisée par le droit constitutionnel

Mais pour de nombreux juristes, cette posture est juridiquement infondée. Dans une tribune documentée, le chercheur en droit public Ruffin Kubangisa démonte un à un les arguments invoqués par Matata et les siens. Il rappelle d’abord que l’article 151 de la Constitution interdit au pouvoir législatif de s’immiscer dans une procédure judiciaire : « Le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution. » Autrement dit, la prise de position du président de l’Assemblée nationale n’a aucune incidence légale sur une procédure déjà engagée devant une juridiction.

De plus, souligne-t-il, la requête du parquet général près la Cour constitutionnelle visant à engager les poursuites contre Matata a été introduite bien avant que celui-ci ne soit réélu député lors des élections de 2023. À ce stade, la Cour est donc pleinement saisie, et la phase d’instruction pénale est en cours. Selon la loi organique sur la Cour constitutionnelle, une fois saisie, celle-ci devient maîtresse de la procédure, sans possibilité pour le ministère public de revenir sur ses actes ou pour l’Assemblée nationale d’interférer.

« Demander à la Cour constitutionnelle de régulariser une étape déjà dépassée revient à violer l’article 151 de la Constitution », tranche Kubangisa, qui dénonce une confusion dangereuse entre les pouvoirs. Il rappelle aussi que c’est au parquet, et non à la Cour, qu’il revenait initialement de solliciter la levée des immunités parlementaires – ce qui était inutile en l’espèce, puisque Matata ne bénéficiait pas encore de ce statut à l’époque.

Une stratégie d’évitement systématique

Depuis le début de l’affaire Bukanga-Lonzo, Matata Ponyo a multiplié les recours, les exceptions de procédure, les appels à la solidarité politique, et désormais les refus de comparution, autant de stratégies qui traduisent une volonté persistante d’éluder la justice. Pourtant, l’ancien chef du gouvernement n’a cessé d’affirmer qu’il n’était pour rien dans ce vaste scandale de détournement de fonds publics, estimés à plus de 200 millions de dollars. Mais ses actes contredisent son discours.

En octobre 2021 déjà, il avait saisi la Cour constitutionnelle d’une requête en inconstitutionnalité pour bloquer la procédure. Par la suite, il avait invoqué à plusieurs reprises son statut d’ancien Premier ministre pour réclamer des conditions de poursuite particulières, avant de bénéficier de son retour à l’Assemblée pour invoquer les immunités parlementaires. Cette séquence, selon plusieurs analystes, fragilise la crédibilité de sa défense et alimente le soupçon d’une instrumentalisation politique des institutions.

Une justice face à l’épreuve du politique

La prochaine audience du procès est maintenue pour le 23 avril 2025. La Cour constitutionnelle entend poursuivre l’instruction du dossier, notamment en vue de la comparution de Deogratias Mutombo, ancien gouverneur de la Banque centrale, également mis en cause. Mais le bras de fer entre le judiciaire et le politique semble loin d’être clos.

Pour le juriste Ruffin Kubangisa, cette situation réactualise les mises en garde déjà formulées en 2007 par le professeur Evariste Boshab, qui dénonçait le « danger permanent qu’encourt tout système démocratique naissant, lorsque les garde-fou sautent ». Deux décennies plus tard, les mêmes dérives menacent de se reproduire : « On ne peut que s’en inquiéter », conclut-il.

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