Élu pape, jeudi 8 mai 2025, le cardinal Robert Francis Prevost a pris le nom de Léon XIV. Le choix de son nom ne doit rien au hasard : il éclaire sa volonté de porter l’attention de l’Église sur les moins favorisés, avec la question sociale au cœur de son pontificat. Il s’inscrit ainsi dans la lignée du pape Léon XIII, dont les 25 années de règne ont été marquées par l’émergence de cette doctrine. Donald Trump, qui s’est félicité qu’un Américain soit élu pape, pourrait vite déchanter.
L’une des premières choses demandées à celui qui vient d’être élu pape dans la chapelle Sixtine -une fois qu’il a accepté la charge – est de savoir comment il souhaite être appelé. L’élu a alors deux possibilités. Soit il choisit le nom d’un saint de l’Église catholique, comme le fit le cardinal Jorge Mario Bergoglio en adoptant le nom de François, en référence au saint François d’Assise. Soit il s’identifie à un prédécesseur. L’exemple le plus récent fut Jean-Paul II qui adopta spontanément celui qu’il remplaçait, Jean-Paul Ier, décédé au 33ème jour de son pontificat en 1978.
Le cardinal Robert Francis Prevost a pris la seconde option. Mais pourquoi aller chercher la longue série des papes Léon, devenant ainsi Léon XIV ? Le nouveau pape expliquera le détail du choix de ce nom inattendu. Seulement, l’on sait que Léon XIII, pape italien de 1878 à 1903, l’un des pontificats les plus long de l’histoire, 25 ans, a laissé un triple héritage dans le patrimoine catholique. Le nouveau pape envisage probablement de s’y identifier et de le perpétuer.
Le premier est le catholicisme social. Ce n’est pas le catholicisme de gauche, car Léon XIII condamnera autant le socialisme que le libéralisme, mais un catholicisme soucieux de la justice sociale, face aux conditions pitoyables des ouvriers à la fin du XIXe siècle. Il publiera, en 1891, la célèbre encyclique, Rerum Novarum (« des choses nouvelles », et, selon le Vatican, « des innovations »), à propos des « nouveautés » de la société de l’époque. Elle entrait dans l’ère moderne avec les usines, la technologie et ses conséquences. Il fustigera, dans ce document, « la concentration, entre les mains de quelques-uns, de l’industrie et du commerce devenus le partage d’un petit nombre d’hommes opulents, de ploutocrates qui imposent ainsi un joug presque servile à l’infime multitude des prolétaires. »
LÉON XIV NE SERA PAS UN AUTRE LÉON XIII
Le second héritage est intellectuel, car Léon XIII relança l’étude du thomisme, la philosophie et la théologie de Saint Thomas d’Aquin, dans une encyclique, Aeterni Patris (« du Père éternel »), accompagné de la création de l’académie pontificale Saint Thomas d’Aquin à Rome. Il encouragea ainsi l’édition des œuvres de Saint Thomas d’Aquin et l’étude scientifique de ses textes. Ce pape lança également les études bibliques et l’exégèse.
Le troisième héritage de Léon XIII est la netteté doctrinale. Ce pape, qui fut aussi un grand diplomate, publia des dizaines d’encycliques. Il condamna par exemple le divorce, la franc-maçonnerie, l’esclavage. Il précisa la nature des relations entre le pouvoir de l’Église et le pouvoir civil et politique, tout en soutenant la liberté humaine.
Léon XIV ne sera pas un autre Léon XIII, mais cette filiation s’annonce intéressante à l’heure des nouvelles technologies de l’information et d’une mutation profonde des sociétés humaines, un quart de siècle seulement après le début du troisième millénaire.
« LE MAL NE GAGNERA PAS »
Donald Trump, qui s’est félicité qu’un Américain soit élu pape, pourrait vite déchanter : lors de sa propre investiture, le 20 janvier dernier, il avait déjà été froidement accueilli dans une église catholique de Washington qui agit auprès des migrants et des minorités pour défendre leurs droits et favoriser leur insertion dans la société américaine. Léon XIV, prélat latino-américain, pourrait bien, à son tour, se dresser comme un contre-pouvoir moral face aux dérives d’un pouvoir américain tenté par le repli, l’exclusion et la brutalité.
D’ailleurs, il sied de relever qu’à peine élu, le premier pape américain est déjà critiqué par les partisans de Trump et de J.D.Vance pour ses positions sur l’immigration. Il est qualifié d’« une marionnette marxiste au Vatican ».
Au-delà des questions temporelles, l’appartenance de Robert Francis Prevost à l’ordre de Saint Augustin – évêque d’Hippone au IVe siècle, dont la règle est basée sur l’unité, la pauvreté de vie et la charité – laisse d’ailleurs présager d’un pontificat guidé par l’introspection, la grâce divine, et une conception du monde reposant sur la lutte contre les forces du péché intérieur autant que contre les dérives du monde.
Mais alors, quel est ce mal que l’Église promet de vaincre ? Nous vivons une époque où le retour du religieux est important en Occident. Et le nouveau pape, Léon XIV, l’a bien perçu en délivrant au monde cette phrase consubstantielle à toute foi religieuse : « Le mal ne gagnera pas ! ». Contre quel « mal », Léon XIV entend-il se dresser ? Contre la pauvreté ? Contre les abus dans l’Église ? Contre la violence géopolitique et le retour du tragique de la guerre ? Ce sont là des questions lourdes de sens. L’ambiguïté, volontaire, de cette déclaration inaugurale ouvre au fond, peut-être, la voie à une lecture universelle.
Ce message résonne aussi comme un avertissement politique. Donald Trump, de retour à la Maison Blanche, n’a pas tardé à saluer l’élection de son compatriote à Rome : « Félicitations » à Léon XIV, premier pape originaire des États-Unis, dans un message sur son réseau Truth Social. « Quelle excitation et quel grand honneur pour notre pays », a-t-il ajouté, se disant « impatient » de rencontrer le nouveau chef de l’Église catholique. Pourtant, l’alliance ne coule pas de source.
L’augustinisme du nouveau pape nous rappelle que la lutte entre le bien et le mal est d’abord intérieure. Mais elle ne saurait occulter les combats très concrets qui s’imposent à notre époque : le rejet de l’autre, le cynisme politique, l’indifférence face à la souffrance. En clamant que « le mal ne gagnera pas », Léon XIV n’a pas seulement posé un principe théologique. Il a lancé un défi au monde, à commencer par ceux qui croient pouvoir s’acoquiner avec le divin tout en piétinant la dignité humaine.
Donald Trump est prévenu. La croisade spirituelle du nouveau pape commence.
Robert Kongo, correspondant en France

