71.98 F
Kinshasa
2 octobre, 2025 - 05:56:34
Image default
La uneÉconomieInterviewsPolitique

Violation de la loi bancaire : la BCC dans le viseur du député national Kasanda Katuala [Interview]

En foulant aux pieds la loi bancaire n° 22-069, la BCC a-t-elle franchi l’irréparable ? Par une simple instruction publiée en juillet 2023, la Banque centrale du Congo a prolongé à trois ans un délai légal que la loi n° 22-069 du 27 décembre 2022 fixait à six mois pour la dilution du capital des établissements de crédit. Une entorse flagrante à la légalité, dénonce le député Kasanda Katuala Olivier, qui s’apprête à interpeller ce lundi 26 mai 2025 la Gouverneure de la BCC pour « usurpation de pouvoir législatif » et violation grave de la séparation des pouvoirs. Dans une interview exclusive accordée à Infos27, le député de Lukunga expose les implications juridiques et politiques d’un acte réglementaire qui place la Banque centrale en porte-à-faux avec la législation en vigueur.

[Interview]

Honorable Kasanda Katuala Olivier, ce lundi 26 mai, vous comptez interpeller la Gouverneure de la BCC. Quelle est, selon vous, la nature exacte de cette violation de la loi qui justifie une telle démarche ?

Je tiens à saluer la mission essentielle de la BCC dans notre système financier, mais les faits que j’ai découverts sont troublants. La violation concerne l’article 62 de l’Instruction n° 18, modification 3, publiée par la BCC en juillet 2023. Cet article accorde aux établissements de crédit un délai de trois (3) ans pour se conformer à l’exigence de dilution de leur capital social, c’est-à-dire la répartition de ce capital entre au moins quatre actionnaires significatifs détenant chacun au moins 15 %, comme prévu par l’article 14 de la même instruction. Or, l’article 190 de la loi n° 22-069 du 27 décembre 2022 dite « loi bancaire » , votée par le Parlement, fixait ce délai à six (6) mois seulement; un délai échu depuis juillet 2023. En prolongeant ce délai à trois (3) ans, la BCC viole directement la loi, maintient les établissements de crédit dans l’illégalité et s’arroge un pouvoir législatif qu’elle n’a pas. C’est une atteinte sérieuse à l’autorité du Parlement.

Comment la Banque centrale du Congo peut-elle justifier un tel écart vis-à-vis de la loi, au risque d’ébranler l’équilibre institutionnel et de piétiner les prérogatives du Parlement ?

C’est une question que beaucoup de députés nationaux se posent, et je comprends cette inquiétude. La BCC joue un rôle essentiel de régulation et de contrôle du secteur des établissements de crédit, et je suis convaincu qu’elle aspire à remplir cette mission avec sérieux. Mais en modifiant un délai fixé par la loi, la BCC outrepasse ses compétences et empiète sur les prérogatives exclusives de l’Assemblée Nationale et du Sénat, seuls habilités par la Constitution à légiférer. Ce n’est pas à la BCC de réécrire la loi, même si elle pense agir pour le bien du secteur. Cette démarche constitue une entorse à la séparation des pouvoirs, et je crains qu’elle ne crée un précédent dangereux.

Vous êtes l’initiateur d’une proposition de loi déposée en septembre 2024. Existe-t-il, d’après vous, des points de convergence entre celle-ci et la tentative, que vous jugez maladroite, de la BCC de contourner les prescrits de l’article 11 de la loi bancaire via l’Instruction décriée ?

Ma proposition de loi, déposée en septembre 2024 à l’Assemblée nationale et actuellement en examen par la Commission ECOFIN, vise à renforcer le cadre légal relatif aux conditions d’agrément des établissements de crédit, notamment en adaptant certaines exigences, comme la nécessité de la dilution du capital social entre au moins quatre actionnaires significatifs, pour mieux répondre au contexte congolais. En analysant la loi n° 22-069 et ses mesures d’application, notamment l’Instruction n° 18 de la BCC, j’ai constaté une certaine convergence dans l’objectif de régulation du secteur bancaire. Cependant, j’ai également relevé une tentative maladroite de la BCC de contourner la législation en utilisant une réforme réglementaire, ce qui, selon moi, va à l’encontre du principe de respect du processus législatif. Cette démarche, qui semble privilégier une action unilatérale, soulève des préoccupations quant à la légalité et à la transparence, et montre que, malgré des points de convergence sur la régulation, il existe une divergence quant au respect des procédures légales établies.

Face à cette controverse juridique, comment la BCC peut-elle concilier son rôle de régulateur avec le respect strict du cadre légal en vigueur ?

C’est une question légitime, et je partage cette préoccupation. La BCC est censée être un modèle de rigueur dans l’application des lois et des réglementations qu’elle édicte pour le secteur bancaire. Je suis persuadé que la BCC, en tant qu’institution, a les capacités de se ressaisir. Mais l’article 62 de cette Instruction n° 18 fait douter de sa clairvoyance. En agissant ainsi, la BCC donne l’impression de ne pas respecter les lois qu’elle est censée faire appliquer, ce qui ébranle la confiance dans son rôle de régulateur. Il est encore temps pour la BCC de corriger cette erreur et de rétablir sa crédibilité.

Les conséquences juridiques de cette violation sont-elles aussi sévères qu’elles le paraissent, et qui pourrait en assumer la responsabilité devant la justice ?

Les conséquences juridiques sont en effet sérieuses. Un acte réglementaire qui viole la loi peut être annulé par les cours et tribunaux, les établissements de crédit risquent des sanctions pour non-conformité, et les responsables pourraient être poursuivis pour abus de pouvoir. En l’occurrence, la loi habilite la Gouverneure et les membres de son Comité de Direction à édicter des réglementations (articles 25 et 46 de la loi organique de la BCC) pour réguler et contrôler le secteur des établissements de crédit. Ce sont donc les dirigeants de la BCC, à savoir la Gouverneure et son Comité de Direction, qui pourraient être tenus responsables de cette violation de la loi. Mais je veux croire que la BCC, sous leur direction, prendra les mesures nécessaires pour éviter ces sanctions et rétablir la légalité.

Quelle est la procédure parlementaire encadrant une telle interpellation, et dans quels délais la BCC devra-t-elle y répondre ?

La procédure est strictement encadrée par le Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, et je m’y tiens avec rigueur. L’article 202 dispose que « l’interpellation est une demande d’explication adressée au Gouvernement ou à ses membres, aux gestionnaires des entreprises publiques, des établissements et des services publics les invitant à se justifier, selon le cas, sur l’exercice de leur autorité ou sur la gestion d’une entreprise publique, d’un établissement ou d’un service public. » L’article 203 exige que je notifie le Bureau de l’Assemblée par une déclaration écrite, ce que je ferai ce lundi 26 mai 2025. Ensuite, l’article 204 prévoit que « le Bureau de l’Assemblée nationale inscrit l’interpellation à l’ordre du jour de la séance la plus proche », et l’article 205 impose à l’interpellé, en l’occurrence Madame la Gouverneure de la BCC, de se présenter devant l’Assemblée dans un délai de huit jours. Enfin, l’article 207 précise que « l’interpellation peut donner lieu à des recommandations de l’Assemblée nationale ou, selon le cas, à une proposition de sanction. » Je suis confiant que la Gouverneure de la BCC respectera ce processus et viendra s’expliquer.

Propos recueillis par Pitshou Mulumba

ça peut vous intéresser

Laisser un Commentaire

Infos27.CD utilise des cookies pour améliorer votre expérience utilisateur. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En Savoir Plus