En moins de quarante-huit heures, deux réquisitoires ont été adressés par le procureur général près la Cour de cassation contre le ministre d’État à la Justice, Constant Mutamba. Le premier concerne un soupçon de détournement de fonds publics, le second vise des propos tenus publiquement par le ministre, jugés outranciers envers la magistrature. En retour, les proches du ministre évoquent un précédent : la mise en cause, en novembre 2024, du même procureur général, Firmin Mvonde, dans une affaire immobilière à Bruxelles. Ce duel peu commun entre deux figures majeures de la justice congolaise ne se résume pas à une querelle de personnes : il révèle des fractures profondes au sein de l’appareil judiciaire.
L’origine du conflit semble remonter à l’automne 2024. À cette époque, Constant Mutamba interpelle publiquement le procureur général sur l’acquisition d’un immeuble dans la capitale belge, pour un montant estimé à 910 000 dollars. L’information, révélée par le média Africa Intelligence, concerne un bien situé dans le quartier résidentiel de Mutsaard. Le parquet ne donnera pas de suite officielle à cette interpellation, mais l’initiative du ministre marque un tournant. Elle jette une lumière crue sur les relations déjà tendues entre le ministère et le parquet général, et inaugure une série de confrontations désormais publiques.
Une escalade judiciaire sans précédent
C’est dans ce climat déjà délétère qu’interviennent les deux réquisitoires adressés à l’Assemblée nationale, les 29 et 30 mai 2025. Le premier vise une affaire de gestion de fonds publics destinés à la construction d’une nouvelle prison centrale à Kisangani. Le second concerne des propos tenus par le ministre lors d’une prise de parole, le 26 mai, devant le siège de son ministère. Constant Mutamba y évoquait un « complot judiciaire tribal », dénonçait « un clan mafieux » dans la magistrature, et affirmait que les attaques contre sa personne visaient, en réalité, « le président de la République, Fatshi Béton ».
Des accusations graves, que le réquisitoire du parquet général énumère en détail, y voyant des infractions pénales telles qu’outrage à magistrat, injures publiques, menaces, ou provocation à des actes répréhensibles. Les articles 75, 135, 136 et 159 du Code pénal congolais sont invoqués pour appuyer la demande d’instruction. En réponse, une commission spéciale de l’Assemblée nationale a été constituée pour évaluer la recevabilité du deuxième réquisitoire, le premier ayant déjà franchi cette étape.
Réformes ou règlements de comptes ?
L’affaire interroge sur la frontière parfois ténue entre une volonté de réforme et une lutte d’influence. Figure ascendante de la majorité présidentielle, Constant Mutamba avait annoncé dès sa nomination sa volonté de « nettoyer les écuries d’Augias » d’une justice soupçonnée de clientélisme et d’allégeances tribales. Ses adversaires le décrivent en revanche comme un ministre clivant, volontiers provocateur, dont les méthodes interrogent sur le respect des équilibres institutionnels.
Firmin Mvonde, pour sa part, est considéré comme l’un des hauts magistrats influents du pays. Sa longévité à la tête du parquet, son silence sur les accusations le visant, mais aussi son activisme procédural à l’encontre du ministre, nourrissent les hypothèses d’un affrontement où chacun chercherait à conserver, voire à élargir, son périmètre de pouvoir.
Le risque d’une politisation
Au-delà des personnes, c’est le fonctionnement même de la justice congolaise qui se trouve fragilisé. Plusieurs observateurs s’inquiètent d’un usage sélectif des procédures, au gré des rivalités politiques. Les appels à une enquête indépendante sur le patrimoine de Firmin Mvonde, comme sur les allégations visant Constant Mutamba, se multiplient dans les milieux juridiques, sans encore susciter de réponse institutionnelle claire.
Le risque, dans un tel contexte, est celui d’un double discrédit. Discrédit sur la capacité de l’État à garantir une justice impartiale. Discrédit, aussi, sur la crédibilité des réformes engagées au nom de l’État de droit.
Dans un pays encore marqué par une culture de la défiance envers ses institutions, l’affaire Mutamba-Mvonde pourrait bien cristalliser un moment de bascule.
Car si la réforme de la justice ne peut venir que de l’intérieur, encore faut-il que ceux qui en détiennent les leviers s’engagent sincèrement sur cette voie, en assumant les exigences de transparence, de responsabilité et de remise en question qu’elle implique.
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