En rouvrant unilatéralement, le 10 juillet, son poste frontalier de Bunagana avec une zone de la RDC toujours occupée par le M23/AFC, l’Ouganda a ravivé les tensions régionales. Kinshasa, tenu à l’écart de cette initiative, dénonce une décision « susceptible de compromettre la souveraineté nationale » et a chargé la ministre des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, de demander des explications officielles à Kampala. Pour le gouvernement congolais, cette réouverture équivaut à légitimer une occupation armée et à fragiliser les mécanismes de paix régionaux.
Le geste a été qualifié de « provocation » dans les couloirs de la diplomatie congolaise. Jeudi 10 juillet 2025, les autorités ougandaises ont officiellement rouvert le poste frontalier de Bunagana, situé entre le district de Kisoro et le territoire de Rutshuru, à l’est de la République démocratique du Congo. Une décision unilatérale prise alors que la localité demeure sous contrôle du mouvement rebelle M23/AFC depuis plus de deux ans.
Le gouvernement congolais a réagi dès le lendemain, vendredi 11 juillet, lors de la réunion du Conseil des ministres. L’exécutif national a chargé la ministre des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, de demander des explications officielles à l’Ouganda. Dans un communiqué, Kinshasa a dénoncé une démarche « susceptible de fragiliser les efforts régionaux de paix et de compromettre la souveraineté de la RDC sur son territoire ».
Une enclave rebelle sous perfusion
Depuis le 13 juin 2022, Bunagana, point de passage stratégique et nœud commercial du Nord-Kivu, est occupé par le M23/AFC supplétif du Rwanda. Le groupe rebelle y a mis en place un système fiscal parallèle. Un rapport du Groupe d’experts des Nations unies, publié en décembre 2022, estimait à près de 27 000 dollars par mois les revenus tirés par le M23 du seul trafic piétonnier, à raison de 1,80 dollar par passage.
S’y ajoutent des taxes sur le bétail (7 USD par tête), l’accès aux terres agricoles (3 USD), ainsi que des prélèvements sur les marchandises importées et exportées. En octobre 2022, environ 500 personnes traversaient chaque jour la frontière à Bunagana, selon les chiffres de l’ONU. Ces fonds alimentent directement l’effort de guerre rebelle.
Kinshasa tire la sonnette d’alarme
Dès le début de l’occupation, les autorités congolaises avaient interdit tout commerce via ce poste frontalier. Le 20 juin 2022, le gouverneur militaire du Nord-Kivu, le général Constant Ndima, avertissait que tout bien transitant par Bunagana serait considéré comme relevant de la fraude et d’une « collaboration avec l’ennemi ». Une ligne rouge maintenue jusqu’à ce jour par Kinshasa, qui n’a jamais reconnu l’autorité des rebelles sur cette zone.
Cette réouverture équivaut à normaliser une occupation armée. L’Ouganda ne peut pas rouvrir une frontière vers un territoire congolais sans l’accord de Kinshasa, sauf à acter un fait accompli.
Le gouvernement congolais insiste désormais sur la nécessité, pour tous les partenaires régionaux, de respecter les engagements pris dans le cadre des mécanismes régionaux de coopération et de sécurité, notamment ceux issus du Processus de Luanda et du Mécanisme conjoint de vérification élargi (MCVE), piloté par la CIRGL.
Une ligne de front économique
Derrière cette décision se cache aussi une bataille économique. La réouverture de Bunagana pourrait offrir un souffle nouveau à la logistique du M23/AFC, dont le financement repose largement sur les ressources locales captées via la contrebande et l’extorsion. Pour les autorités provinciales, il ne fait aucun doute que ce point de passage frontalier constitue une « veine vitale » pour les rebelles.
« Chaque vache, chaque sac de marchandises, chaque pied qui passe finance une machine de guerre », souligne un élu local. « Rouvrir Bunagana, c’est renflouer les caisses de ceux qui tuent et déplacent nos populations. »
Une coopération régionale à l’épreuve
Cette décision unilatérale de Kampala complique davantage les efforts de médiation. Kinshasa craint que cette réouverture ne soit suivie par d’autres normalisations de facto dans des zones occupées par le M23, comme Kitagoma ou Busanza.
Le gouvernement congolais entend maintenir la pression diplomatique. La ministre Thérèse Kayikwamba Wagner devrait entamer dans les prochains jours des consultations avec ses homologues de la région, ainsi qu’avec les partenaires internationaux, pour exiger des explications claires et réaffirmer le principe fondamental : aucun territoire congolais ne peut faire l’objet d’un arrangement hors de l’autorité de Kinshasa.
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