Alassane Ouattara, 83 ans, est candidat pour un quatrième mandat. Si l’annonce faite, mardi 29 juillet 2025, via les réseaux sociaux et reprise à la télévision publique (RTI), ne surprend guère, de nombreux observateurs s’impatientaient de connaître le prétexte que le président ivoirien allait invoquer pour justifier cette nouvelle candidature à l’élection présidentielle prévue pour octobre 2025. L’opposition, dont les principaux leaders sont radiés de la liste électorale, a immédiatement dénoncé cette déclaration. Une dérive politique – et le mot n’est pas assez fort- qui met à mal la démocratie dans le pays.
On se doutait bien que l’exercice ne serait pas aisé pour celui qui, il y’a cinq ans, justifiait déjà son maintien au pouvoir par un « sacrifice » nécessaire, malgré la contestation de l’opposition. Alassane Ouattara avait invoqué un « cas de force majeure » pour briguer un troisième mandat, après avoir été élu en 2010 puis réélu en 2015.
Cette fois-ci, en rédigeant son adresse à la nation, le président ivoirien devait se sentir gêné. Convoquant des arguments tirés par les cheveux et d’une pertinence pour le moins douteuse, il a clairement laissé transparaître un certain embarras. Mais comme souvent chez les dirigeants africains, il a préféré faire fi de tout cela, quitte à glisser vers le côté sombre de l’histoire et à exposer son pays à de nouvelles incertitudes.
« Après mûre réflexion et en toute conscience, je vous annonce aujourd’hui que j’ai décidé d’être candidat à l’élection présidentielle du 25 octobre 2025 », a-t-il affirmé avant de poursuivre que « ce nouveau mandat sera celui de la transmission générationnelle avec l’équipe que je mettrai en place. Nous pourrons consolider les acquis et nous continuerons à améliorer le quotidien de nos compatriotes, notamment les plus vulnérables ». « Je suis candidat parce que la Constitution de notre pays m’autorise à faire un autre mandat et ma santé le permet », justifie le chef de l’État âgé de 83 ans.
Comme on peut le constater, cette décision – de briguer un 4ème mandat – marque un changement radical par rapport aux promesses antérieures de confier le pouvoir à une nouvelle génération de dirigeants. Au lieu de rappeler aux souvenirs de violences électorales précédentes pour justifier sa nouvelle candidature, y compris le conflit post-électoral de 2010-2011 qui a fait plus de 3000 morts, les troubles déclenchés par sa candidature controversée à un 3ème mandat en 2020, Alassane Ouattara devait plutôt reconnaitre qu’il existe, aujourd’hui, une nouvelle génération de leaders ivoiriens consciencieux, bienveillants et engagés, en capacité de gouverner le pays démocratiquement en vue de son développement. Et il est grand temps de laisser la place à cette nouvelle génération !
L’opposition dépitée
Cette annonce a assené un coup de massue dans le camp de l’opposition qui l’a immédiatement dénoncé, accusant le gouvernement de manipuler le processus électoral pour exclure les principaux rivaux qui ont été radiés de la liste électorale.
Quatre figures sont exclues de la liste électorale définitive publiée le mercredi 4 juin 2025, et ne pourront donc se présenter à l’élection présidentielle ni même voter.
Le leader du le leader du Parti démocratique de Côte-d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), Tidjane Thiam, a été écarté de la liste électorale pour des problèmes de nationalité. Il semble qu’il a par la suite renoncé à sa nationalité française. L’ancien président, Laurent Gbagbo (2000-2011), a lui aussi été exclu de cette liste à cause de sa condamnation par la justice ivoirienne dans le cadre de la casse de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) lors de la crise politique de 2010-2011. L’ancien bras droit de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, et l’ancien premier ministre, Guillaume Soro (en exil) sont quant à eux radiés de la liste électorale depuis plusieurs années en raison de condamnations judiciaires, et n’ont pas été réintégrés.
Ces décisions judiciaires ont alimenté des tensions ces derniers mois, l’opposition estimant que le pouvoir choisit ses adversaires. Dépitée, elle a alerté à plusieurs reprises le gouvernement de cette dérive politique qui met à mal la démocratie dans le pays.
Pour Tidjane Thiam, « l’annonce faite par M. Ouattara constitue une violation de notre Constitution […] Ce n’est pas un hasard si cette déclaration intervient le même jour où les autorités ont annulé une manifestation pacifique contre la régression démocratique actuelle », a estimé le leader du PDCI-RDA.
« Ce président et son gouvernement ont dépassé les limites que la Constitution ou la patience des Ivoiriens leur permettent. Une parodie d’élection en octobre, ou l’interdiction de manifestations pacifiques, ne suffiront pas à masquer cette réalité », a-t-il dénoncé.
« C’est un mandat inconstitutionnel », a indiqué, lors d’un point de presse, Damana Pickass, cadre du Parti des peuples africains-Côtes d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo.
La France se tait
Alassane Ouattara, octogénaire, faut-il en rire ou en pleurer ? Qu’en diront les ardents défenseurs de la démocratie, notamment la France, le gendarme de l’Afrique ? Les intérêts économiques vont-ils prendre le dessus sur la beauté de la démocratie et ouvrir ainsi le boulevard à tous les autres candidats au 3ème mandat, et plus si affinités ?
L’Afrique, c’est certain, retournera à sa vieille tradition de présidence à vie, et cela lui fera peut-être plus de bien que cette camisole de force dans laquelle elle étouffe. L’ancien président français, Jacques Chirac (1995-2007), pour ne pas le nommer, l’avait prophétisé : « L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ». Telle est la triste réalité.
L’Afrique n’a pas de chance
L’Afrique n’a décidément pas de chance ! Ses dirigeants ne résistent pas à la tentation du pouvoir. Ils n’aiment pas faire valoir leurs droits à la retraite politique, quitte à modifier ou changer la Constitution qui suscite souvent la méfiance des peuples en mettant le pays sens dessus dessous au gré de leurs ambitions et de leurs calculs politiques.
Presque partout en Afrique, le scénario est identique. Voire, des opposants, une fois élus, ils se transforment en dictateurs, et feignent d’oublier qu’ils sont arrivés au pouvoir par le jeu de l’alternance politique.
Jetant aux oubliettes leur combat passé contre les longs règnes qui les mettaient d’office en quarantaine du pouvoir, ils s’érigent en souverains dans des États où la loi fondamentale recommande et impose pourtant une limitation à deux du mandat présidentiel. D’espoirs de tout un peuple, ces figures emblématiques de l’opposition deviennent de véritables prédateurs de la démocratie.
Ô rage ! Ô désespoir ! Trouverait-on meilleure image que ce monologue de Don Diègue dans le Cid de Corneille, pour exprimer la déception que provoquent ces aspirants au 3ème mandat, qui, du reste, a rarement porté chance à ceux qui osent y aller ?
Qui s’y frotte s’y pique, dit l’adage, mais la leçon n’a jamais servi aux dirigeants africains que lorsqu’ils sont chassés de leur palais, comme de vulgaires voleurs d’une maison, malgré tous les acquis qui ont été leurs lorsqu’ils étaient aux affaires.
Eh bien oui, Alassane Ouattara rempile pour un 4ème mandat. Il ne reste plus qu’à assister à la liesse populaire savamment organisée par le pouvoir, et les messages des dirigeants africains qui ne manqueront pas de lui apporter toute leur compassion pour ce « sacrifice suprême » pour son pays ! Fort heureusement, le ridicule ne tue pas en Afrique.
Robert Kongo, correspondant en France