« L’Afrique peut nourrir le monde » est le titre de l’ouvrage que vient de publier aux éditions Le Cherche Midi, George Arthur Forrest, président du groupe Forrest international, l’un des fleurons de l’industrie africaine. Son message fondamental est que « l’Afrique doit et peut conquérir ou reconquérir son autonomie alimentaire pour assurer son avenir économique et peser sur la scène mondiale. » À l’occasion de la parution de cette œuvre incontournable pour repenser l’avenir agricole de l’Afrique, il a accepté de répondre aux questions de Robert Kongo, notre correspondant en France.
Vous venez de publier aux éditions Le Cherche Midi un livre intitulé « l’Afrique peut nourrir le monde ». Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur ce thème ?
J’ai fait beaucoup d’activités dans ma vie. J’ai œuvré dans les travaux publics, les mines, les banques, la cimenterie et autres. Mais, j’ai toujours rêvé de l’agriculture en me disant que ce secteur d’activité, qui a le mérite de nourrir l’homme, est très important. C’est malheureux de voir que près d’un africain sur quatre souffre de sous-alimentation ! De plus, l’Afrique importe chaque année des produits alimentaires pour près de 35 milliards de dollars, alors qu’elle dispose de grandes étendues de terres fertiles et d’une population jeune et, de plus, a toutes les ressources nécessaires pour produire ce qu’elle consomme et consommer ce qu’elle produit. C’est vraiment incompréhensible. Mon livre est donc un plaidoyer pour repenser l’avenir agricole de l’Afrique. Voilà pourquoi, Je me suis lancé, avec des partenaires, à développer des projets agricoles, notamment au Congo. L’objectif est de stimuler les gens, les forcer à développer l’agro-industrie, plutôt que de rester cantonné dans le secteur des mines. La nourriture étant une nécessité vitale, la population doit bénéficier d’une véritable autosuffisance alimentaire.
Selon vous, quels sont les blocages structurels qui freinent l’essor agricole africain ?
Le principal blocage est le manque des moyens. Dès l’abord, il faut des personnes ayant la fibre entrepreneuriale, de la volonté, du courage de prendre des risques et qui décident. Ensuite, il faut que les banques suivent. Je pense vraiment que l’Europe et les banques européennes devraient venir en support pour le développement de ce secteur en Afrique. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous le faisons par nos propres moyens avec la collaboration des banques locales.
La mal gouvernance de certains pays africains n’influe-t-elle pas sur ces blocages ?
C’est un peu cela aussi. C’est pourquoi, un climat des affaires assaini est indispensable pour que les investisseurs acceptent de venir en Afrique. L’investissement stimule la croissance, crée des emplois et réduit la pauvreté. Il faut donc l’encourager. Mais ne perdons pas espoir. Laissons à l’Afrique le temps de se développer et d’atteindre cette bonne gouvernance comme cela se passe en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs.
Libérer le continent africain de sa dépendance alimentaire et ouvrir la voie à une véritable souveraineté économique. N’est-ce pas un vœu pieux ?
Il faut toujours rêver. Lorsqu’on rêve, il faut toujours rêver en grand ! Si on ne rêve pas, on ne fait rien.
Devenir un acteur clé de la production mondiale est-il possible dans un monde où le rapport des forces entre les pays développés et ceux en développement est inégal ?
Il y’a un début à tout. L’Afrique, de par ses richesses et son potentiel humain, dispose de multiples atouts susceptibles de lui permettre un sursaut inégalé. Maintenant, elle doit se battre, se prendre en charge pour se développer, voire dépasser l’Europe et d’autres pays du monde. Elle en a les capacités.
Après plusieurs décennies d’expérience, vous militez, aujourd’hui, pour une Afrique fière de ses richesses. Pourquoi avoir attendu longtemps pour lancer le message contenu dans votre livre ?
Ce message pour l’Afrique, je l’ai toujours lancé dans la réalisation de mes autres projets. Mais, on constate malheureusement qu’il est très peu suivi. Par contre, le projet concernant l’agriculture est un projet phare qui fait écho au besoin de se nourrir. Ainsi, il est vital. La guerre russo – ukrainienne a montré que la nourriture est importante. À preuve, l’Afrique en a souffert. Heureusement que le président Macky Sall a pu régler certains problèmes en rapport à cette situation. Mon message est clair : c’est par l’agriculture que l’Afrique va se développer. Je suis moi-même africain (George Arthur Forrest est né en 1940 à Élisabethville, l’actuelle Lubumbashi, l’ancienne grande province du Katanga, au sud de la RDC, NDLR), je tiens beaucoup à ce que l’Afrique se développe. Un jour, l’Afrique sera une puissance mondiale, la première, peut-être.
Face à la résurgence des crises alimentaires en Afrique, dues aux conflits et aux sécheresses, pensez-vous qu’il soit possible d’atteindre votre objectif de « l’Afrique peut nourrir le monde » avant 2050, par exemple, sachant que sa population va doubler d’ici à cette année-là ?
Il y’a un début à tout disais-je. Si on commence d’abord à nourrir une partie de l’Afrique, progressivement on va nourrir toute l’Afrique. Et pourquoi pas le monde ? C’est ça l’objectif. Nourrir d’abord le Congo, par exemple, puis le reste de l’Afrique, et enfin le monde.
Et comment y parvenir ?
Par le développement agro-industriel qui nécessite des gros investissements. Mais pas avec ces petits investissements comme le font les maraichers ou beaucoup de pays à travers les ONG qui déboursent de l’argent pour faire 2 ou 3 hectares de tomates, de bananes… Il faut des gros investissements pour faire des dizaines de milliers d’hectares. C’est comme ça qu’on va y parvenir.
D’après vous, mettre fin à la faim en Afrique est possible. Comment donc repenser l’avenir agricole de l’Afrique ?
Il faut des moyens, je l’ai dit. À l’instar de l’apport international, il faut que les gouvernants s’y investissent. Leur implication dans le développement de l’agriculture en Afrique est essentielle, et surtout qu’ils fassent des lois qui favorisent et encouragent les investisseurs étrangers, car il est bon d’établir, dans les pays africains, un climat favorable aux affaires, afin d’attirer les investissements de l’extérieur.
Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France