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Kinshasa
17 mai, 2025 - 16:17:10
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Quêteurs de rue à Kinshasa : entre générosité et doutes

À Kinshasa, les carrefours de la capitale se transforment de plus en plus en terrains d’ultime recours. Chaque jour, des hommes et des femmes, parfois accompagnés de malades dans un état critique, envahissent l’espace public pour solliciter la générosité des passants. Armés de haut-parleurs, ces quêteurs appellent à l’aide, prétendant souvent que les soins nécessaires sont urgents et hors de prix. Pourquoi avoir choisi cette voie ? D’où proviennent ces malades ? Parviennent-ils réellement à garantir une prise en charge efficace ? Et surtout, comment ces quêteurs survivent-ils eux-mêmes dans ce quotidien de labeur sous le soleil brûlant et l’indifférence générale ? Ce reportage s’intéresse à ces hommes et ces femmes, qualifiés par certains de simples « faiseurs de manches », voire d’escrocs, mais perçus par d’autres comme de véritables altruis­tes, dévoués corps et âme à ceux qui n’ont plus d’autre espoir que la pitié publique.

Rond-point Magasin, l’un des carrefours de la ville de Kinshasa. L’air est irrespirable, saturé de gaz d’échappement. Il est midi. Le soleil est au Zénith. De milliers de voitures cabossées et minibus défoncés encombrent encore les artères environnantes. Ici, tout le monde connait des quêteurs qui lèvent des fonds pour une cause médicale à ciel ouvert. Ces hommes et ces femmes adoptent une même stratégie : à l’abri d’un pare-soleil, le malade est installé sur une chaise en plastique. Debout, micro à la main, ils interpellent les passants, en appelant à leur solidarité pour financer des soins médicaux souvent présentés comme urgents et onéreux. Devant eux, un panier ou un sac servant à la récolte des fonds.

Précurseur de l’initiative, Bienvenue Molongi, 47 ans, est le président de tous les quêteurs qui survivent là au quotidien. Pasteur de profession, il considère son activité comme une vocation. Car, « avant, je me rendais dans les orphelinats pour apporter du soutien aux enfants. Quand je prêchais au marché Gambela, je plaidais leur cause, et les gens venaient avec des vêtements et divers dons pour les aider », argumente-t-il sous les brouhahas des divers passants et les vrombissements des voitures.

Le foisonnement des quêteurs

C’est cet engagement dans le soutien aux orphelins qui va progressivement orienter les actions de ce quadragénaire vers l’assistance aux malades. Tout jeune à l’époque, il a débuté son activité de quêteur en l’an 2003 : « un jour, on nous a amené une femme qui avait une brûlure grave à l’œil. Elle avait besoin de soins urgents. À l’époque, nous ne nous déplacions pas encore. Alors, pendant une semaine, nous sommes restés sur place et les passants ont contribué comme ils pouvaient. Mais comme les fonds récoltés étaient insuffisants pour couvrir les soins, nous avons décidé de changer de lieu. C’est ainsi que nous avons continué au marché Zando, puis à Matete jusqu’à ce que nous étions parvenu à assurer une prise en charge médicale pour cette femme. » 

Changer de lieu a jalonné une nouvelle étape dans l’initiative de Molongi. « Depuis, nous avons commencé à rencontrer divers cas de malades, et petit à petit, nous nous sommes étendus un peu partout », confie-t-il. Cependant, il regrette amèrement « la présence d’individus malintentionnés qui détournent aujourd’hui notre activité à des fins d’escroquerie. »

Le processus de récolte des fonds

Une fois les fonds collectés en route, Bienvenue Molongi accompagne les malades au sien du Centre d’accueil et des soins intégraux des familles en Afrique (Casif) à Kinshasa. Cette organisation non-gouvernementale assure la promotion à l’accès aux soins de santé primaire de populations pauvres à prix réduit. « Nous recevons des cas de malades sans moyens financiers pour se faire soigner. Nous les accompagnons ensuite. De nombreux cas de malade que nous emmenons en route proviennent de l’hôpital, qui travaille en partenariat avec le ministère des Affaires sociales », explique-t-il en mettant en exergue son rôle de l’assistant de collecte des fonds au sien de l’ONG Casif.

Mais pour mener à bien cet accompagnement, les malades sont d’abord soumis à une consultation médicale, suivie d’examens approfondis. C’est ne qu’après avoir reçu les orientations des médecins et l’émission d’un devis, dont le montant de l’opération varie selon la pathologie, que Bienvenue Molongi tout comme les autres quêteurs se rendent sur la voie publique avec les patients pour collecter les fonds nécessaires. La période prévue pour cette campagne de récolte est d’un mois mais de fois elle peut varier jusqu’à deux mois. « C’est comme si tu vends les marchandises qui finissent petit à petit. En tout cas on se bat vraiment jusqu’à ce que le montant de l’opération puisse se totaliser afin d’assurer une prise en charge médicale. Et c’est là mon plus grand soulagement », renchéri Molongi. D’une voix forte, il affirme, d’ailleurs, que plusieurs malades sont guéris par l’entremise de son travail. Il ne maitrise pas, à ce jour, le nombre exact mais sur son téléphone, ce pasteur garde encore les photos d’une poignée des personnes illustrant leur période de la maladie et celle de guérison.

Le témoignage d’une guérie vivante 

Aline Pambu fait partie des cas les plus graves pris en charge grâce à l’initiative de Bienvenue Molongi. Nous l’avons rencontré après plusieurs rendez-vous manqués dans la commune de Selembao. Âgée de 7 ans, cette fillette a été atteinte, l’année dernière, d’une « typhoïde aiguë qui a fait pourrir quelques intestins dans son ventre ». Son père, démuni face aux frais médicaux, l’avait abandonnée faute de moyens : « ma fille a été d’abord opéré pour la première fois dans un autre hôpital. Mais cette opération n’était pas une réussite car après le ventre d’Aline a commencé à gonfler comme celui d’une femme enceinte. Je l’ai, alors, emmené à la clinique universitaire. Et là, on m’a demandé 3000 USD pour l’opération. Au bout, je ne savais pas quoi faire. C’est ainsi que je l’avais laissé à la maison. » Emotionné, David Pambu est le père d’Aline. Quand il raconte cette histoire, il ne peut s’empêcher de manipuler son téléphone pour montrer les photos prises avant l’opération de sa petite fille.

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A gauche, Bienvenu Molongi et la mère d’Aline avant l’opération de sa fille. A droite, la petite Aline quelques semaines après son opération.

Le parcours vers la deuxième opération d’Aline remonte en juillet 2024. En cette année-là, elle est emmenée par son père à une fête organisée par Bienvenue Molongi. Ému par la situation critique de l’enfant, ce dernier a proposé de l’intégrer parmi les malades accompagnés en route pour solliciter l’aide du public. Néanmoins, obtenir le consentement des parents d’Aline n’a pas été chose aisée. « J’étais souvent critiqué par la famille de ma femme. Je ne voulais pas que mon enfant soit exposé dans la rue. Pour moi, c’était une source de honte. Mais à la demande insistante de Molongi, je l’ai autorisé à discuter avec ma femme, et ils ont fini par trouver un terrain d’entente », raconte David, également Pasteur et ami d’enfance de Bienvenue Molongi.

En vrai, le père d’Aline argue que sa décision a été accentué lorsqu’il a constaté que sa fille avait été, d’abord, conduite à l’hôpital de Casif pour y subir une consultation et des examens médicaux approfondis par Molongi, avant d’être présentée sur la voie publique pour la collecte de fonds. Mais, malgré cet acte, il avoue avoir eu du mal à accepter pleinement la démarche vers cette collecte de fonds. Pour masquer l’identité de sa fille et atténuer son propre malaise, il a même choisi de lui attribuer temporairement le prénom d’Abigaël.

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Sur l’une des avenues de Kinshasa, Bienvenu Molongi est en train d’interpeller les passants pour contribuer aux soins médicaux d’Aline Pambu, accompagnée de sa mère assise sur la chaise en plastique.

Grâce aux efforts de Molongi, la collecte de fonds a duré trois semaines. Le montant réuni s’est élevé à près de 1 000 dollars américains. Une somme suffisante pour couvrir les soins au sien du Casif. « Depuis l’opération de ma fille, je ressens la paix. Et je n’ai jamais encore eu de complication avec elle. Nous avons respecté tous les conseils prodigués par le médecin avant la sortie de l’hôpital », soupire le père d’Aline.

Quand la collecte des fonds se transforme en busines

Bien que les quêteurs de rue permettent à de nombreux malades, comme Aline, d’accéder aux soins médicaux, leur quotidien reste exigeant : ils entament leur travail dès le matin et ne s’arrêtent qu’en soirée. Mais comment assurent-ils leur propre subsistance ? « Chacun vit de sa sueur. Lorsqu’un quêteur a accompli sa tâche, il perçoit une commission prélevée sur les fonds collectés pour le malade. Cela lui permet de couvrir ses frais de transport et d’acheter de quoi subvenir aux besoins de sa famille. Parce qu’on ne peut pas attendre que des gens passent la journée à solliciter les passants sous le soleil, sans aucune rémunération », soutient Molongi, qui recrute lui-même les quêteurs, tout en voyant certains se présenter spontanément pour se faire enrôler.

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Une quêteuse en train de collecter les fonds pour un enfant malade sous la supervision de Bienvenue Molongi/ Photo : Christian Kamba

L’appel au gouvernement

Comme lui et ses collaborateurs, Bienvenue Molongi est souvent taxé d’« escroc » par certains Kinois, qui méconnaissent pourtant les réussites concrètes de son action sur le terrain. À la tête de l’ONG Le Bon Samaritain, qui regroupe plus de 34 quêteurs, il milite activement pour sa reconnaissance officielle par l’État congolais. Mais l’obtention de cette légalité se heurte à un obstacle majeur : le manque d’unité entre les quêteurs. « D’autres quêteurs de Kinshasa sont dispersés. Pourtant, l’union fait la force. Pour légaliser notre association, il faut fournir des documents exigés par l’État comme le F92, et cela a un coût. Tant que nous ne sommes pas unis autour d’un même objectif, cela reste difficile », déplore-t-il.

Sans soutien, Molongi dénonce les tracasseries policières auxquelles les quêteurs sont parfois confrontés et invite les autorités étatiques à ne pas les « minimiser. »

Christian Kamba

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