Affaire Bukanga-Lonzo : l’inviolabilité ne vaut pas impunité. Au cœur du tumulte politico-judiciaire que soulève ce dossier explosif, un député, juriste de formation, brise le silence en livrant une lecture rigoureuse – mais sans concession – de l’article 107 de la Constitution. Sous couvert d’anonymat, pour éviter de « personnaliser une affaire systémique », il démonte une à une les manœuvres d’obstruction institutionnelle fondées sur une lecture erronée de l’immunité parlementaire. Selon lui, l’inviolabilité ne saurait être une échappatoire automatique dès lors qu’un procès est déjà engagé. « Il y a une distinction constitutionnelle entre être poursuivi et être jugé. L’immunité ne suspend pas la justice, elle encadre son déclenchement. Une fois saisie, la juridiction exerce sa pleine autorité. » Dans une République fondée sur la séparation des pouvoirs, permettre à un parlementaire de se soustraire à la justice au seul motif de son mandat reviendrait à piétiner l’égalité devant la loi et à saper les fondements mêmes de l’État de droit. Plus encore, ce député pointe une dérive dangereuse : l’usage abusif d’interventions politiques pour paralyser l’action judiciaire. Or, rappelle-t-il, seule une résolution formelle de l’Assemblée nationale – et non une simple lettre d’un président de chambre – peut, dans des cas exceptionnels, solliciter la suspension d’un procès. Et encore : cette suspension, si elle est demandée, reste soumise à l’appréciation souveraine du juge. Dans une mise en garde à peine voilée, ce parlementaire souligne que nul, fût-il député ou président de chambre, ne peut se poser en obstacle à la vision du chef de l’État, qui a érigé la lutte contre l’impunité en impératif national. À défaut, prévient-il, des conséquences devront être tirées. Car Bukanga-Lonzo n’est pas seulement le procès d’un ancien Premier ministre : c’est un crash-test pour l’intégrité des institutions, une épreuve de vérité pour la justice congolaise, un révélateur du degré de maturité démocratique de la République. En filigrane, c’est la légitimité même de la fonction parlementaire qui se joue : protéger la loi ou s’en protéger.
Une ligne de fracture institutionnelle oppose deux piliers de la République : l’Assemblée nationale, aujourd’hui conduite par le professeur Vital Kamerhe, et la Cour constitutionnelle, présidée par Dieudonné Kamuleta. En toile de fond : l’épineux dossier Bukanga-Lonzo, ce projet agro-industriel de plus de 285 millions de dollars américains qui, au lieu de faire germer un espoir agricole en RDC, a vu les fonds publics s’évaporer dans un détournement soigneusement orchestré.
Au cœur de ce scandale, Augustin Matata Ponyo, ancien Premier ministre, devenu sénateur puis député national. Poursuivi avec ses co-accusés pour détournement présumé de 205 millions de dollars dans le cadre de ce projet mort-né, Matata Ponyo cristallise désormais un affrontement juridico-politique de haute intensité. Car son statut de député national confère, aux yeux du président de l’Assemblée, une immunité qui devra bloquer pas un procès pénal en cours. Inimaginable !
C’est cette lecture restrictive de la Constitution qui vient aujourd’hui envenimer les rapports entre les deux institutions.
Une lettre, une ligne rouge
La lettre adressée le 25 avril 2025 par le président de l’Assemblée nationale au président de la Cour constitutionnelle sonne comme un rappel à l’ordre. Vital Kamerhe s’y accroche fermement à l’article 107 de la Constitution, selon lequel « Aucun parlementaire ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Qu’aucun parlementaire ne peut, en cours de sessions, être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat, selon le cas. En dehors de sessions, aucun parlementaire ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale ou du Bureau du Sénat, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive. La détention ou la poursuite d’un parlementaire est suspendue si la chambre dont il est membre le requiert. La suspension ne peut excéder la durée de la session en cours. »
Mais ce que cette lecture élude, c’est la complexité du cas Matata Ponyo : la procédure judiciaire à son encontre a été entamée bien avant qu’il ne siège dans l’hémicycle. Doit-on suspendre un procès en cours au seul motif que l’accusé a revêtu, entre-temps, l’habit de député national ? La Constitution protège-t-elle les fonctions ou consacre-t-elle l’impunité ?
L’esprit contre la lettre
Il est permis de douter de la bonne compréhension par le président de l’Assemblée nationale de la portée réelle de l’article 107. Car ce texte vise à préserver la libre parole parlementaire, non à créer une zone de non-droit. Si l’on suit jusqu’au bout le raisonnement du professeur Kamerhe, tout justiciable pourrait échapper à la justice en se faisant élire député. Ce serait là une dénaturation grave de l’esprit constitutionnel.
Et puis, à supposer même qu’une divergence d’interprétation existe, pourquoi le président de l’Assemblée nationale ne saisit-il pas la seule institution compétente pour trancher pareille question : la Cour constitutionnelle ? Pourquoi cette insistance à opposer, voire à neutraliser, une procédure judiciaire en invoquant une immunité parlementaire qui n’a jamais été conçue pour entraver l’action de la justice dans des dossiers de cette gravité ?
Une protection ou un écran ?
Si le président de l’Assemblée nationale, professeur Vital Kamerhe, n’éclairait pas l’opinion sur des interrogations simples que pose ce dossier, il s’exposerait, de l’avis de plusieurs analystes, à un soupçon : celui d’instrumentaliser le droit pour un profit. Matata Ponyo est-il poursuivi pour des faits liés à son mandat de député, ou pour des actes posés alors qu’il était Premier ministre ? La réponse est connue de tous. Et pourtant, on tergiverse, on retarde, on s’abrite derrière des articles de la Constitution comme un bouclier contre la justice.
Tshisekedi et l’impatience du peuple
Ce bras de fer institutionnel prend à rebours l’esprit de la gouvernance prônée par le président Félix Tshisekedi. Car à la tête de l’État, le message est clair : il n’y a pas d’intouchables. La lutte contre l’impunité ne peut pas être une incantation politique. Elle doit se traduire dans les faits, même — surtout — lorsque ceux qui sont appelés à répondre devant la justice occupent des fonctions élevées. Refuser cette exigence, c’est maintenir en vie un système ancien, celui des protections croisées, où l’Assemblée nationale devient la dernière forteresse de ceux qui fuient leurs responsabilités.
En somme, ce qui se joue ici dépasse le seul cas Matata. C’est l’autorité de la justice face au pouvoir politique qui est en jeu. Et dans une République qui veut se réconcilier avec la vérité et l’État de droit, aucune institution, quelle que soit sa légitimité électorale ou académique, ne peut faire obstacle à la marche de la justice.
Épreuve de vérité pour la séparation des pouvoirs
« Bukanga-Lonzo, ce n’est pas qu’un scandale de corruption. C’est un révélateur, un point de rupture. Une faille dans l’architecture de notre République. » Pour un élu du peuple, juriste de formation, qui a préféré garder l’anonymat pour éviter de « personnaliser une affaire systémique », ce dossier emblématique dépasse de loin les détournements de fonds et les jeux d’influence. Il soulève, selon lui, « un débat fondamental sur l’interprétation et l’application des textes constitutionnels relatifs à l’immunité parlementaire et à la séparation des pouvoirs ».
Autrement dit : Bukanga-Lonzo est aussi le procès de nos institutions. Le test grandeur nature de leur solidité.
Au cœur de cette crise, estime-t-il, le respect des procédures prévues par la Constitution est mis à l’épreuve, et ce non-respect potentiel de la norme constitutionnelle ouvre la voie à un conflit institutionnel qui pourrait avoir des conséquences majeures pour l’équilibre de la République.
Si certains acteurs politiques congolais soutiennent qu’un député, une fois élu, peut invoquer son « inviolabilité parlementaire » pour suspendre un procès pénal en cours, cet élu du peuple balaie cette thèse, souvent utilisée pour protéger des élus poursuivis. Selon lui, cela repose sur une mécompréhension de l’article 107 de la Constitution de la RDC. « Une lecture attentive, notamment du premier alinéa, révèle une distinction implicite entre poursuites et jugement, qui infirme l’idée d’une immunité bloquant un procès déjà engagé. » Explications, avec un éclairage sur l’acte formel que l’Assemblée nationale doit poser pour demander une suspension.
Distinction constitutionnelle entre poursuites et jugement
L’article 107, dans son premier alinéa, dispose : « Aucun parlementaire ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. » En mentionnant distinctement « poursuivi » et « jugé », le Constituant congolais établit implicitement que ces deux notions ont des significations différentes. Les poursuites englobent les actes préalables à la saisine d’une juridiction, tels que l’enquête, la mise en examen ou le renvoi devant un tribunal. Le jugement, quant à lui, désigne l’examen de l’affaire par une cour ou un tribunal, une fois saisi, aboutissant à une décision (condamnation ou acquittement).
Cette différenciation est fondamentale : elle indique que l’inviolabilité parlementaire, prévue aux alinéas suivants de l’article 107, ne s’applique pas de la même manière aux poursuites et au jugement. En particulier, elle suggère que les poursuites s’achèvent lorsque la juridiction est formellement saisie, marquant le passage à la phase de jugement. Ainsi, un député dont le procès pénal est déjà en cours – c’est-à-dire dont l’affaire est devant un tribunal – ne peut invoquer l’inviolabilité pour exiger une suspension automatique.
L’inviolabilité ne protège pas contre un procès en cours
Les défenseurs de l’inviolabilité absolue soutiennent qu’un député peut bloquer un procès en cours en invoquant son immunité. Cette position ignore la portée limitée de l’inviolabilité, telle que définie par l’article 107. Les alinéas 2 à 4 protègent les parlementaires contre l’engagement de poursuites ou les mesures privatives de liberté (arrestation, détention) sans autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive. Une fois la juridiction saisie, l’affaire entre dans la phase de jugement, où l’inviolabilité n’a plus d’effet direct, car il ne s’agit plus de « poursuivre » mais de « juger ».
Permettre à un député d’arrêter un procès en cours en invoquant son immunité violerait donc la séparation des pouvoirs et l’égalité devant la loi. En RDC, la pratique judiciaire semble confirmer cette interprétation : l’inviolabilité est limitée aux actes préalables à la saisine (enquêtes, renvois) et aux mesures coercitives. Un procès pénal en cours, où des audiences sont déjà programmées, relève du pouvoir judiciaire indépendant, qui ne saurait être suspendu par la seule acquisition d’un mandat parlementaire.
La suspension du procès : une résolution votée, pas une simple lettre
L’article 107, dans son dernier alinéa, prévoit que la détention ou les poursuites d’un parlementaire peuvent être suspendues si la Chambre dont il est membre le requiert, mais cette suspension est limitée à la durée de la session en cours. Bien que cette disposition vise principalement les poursuites préalables ou les mesures privatives de liberté, l’Assemblée nationale peut, dans des cas exceptionnels, demander la suspension d’un procès déjà en cours. Pour ce faire, elle doit adopter une résolution votée en séance plénière.
Une résolution est un acte formel, adopté à la majorité des députés présents, conformément aux règles de fonctionnement de l’Assemblée nationale. Elle exprime la volonté collective de la Chambre et doit être transmise officiellement à la juridiction concernée, précisant que la suspension est demandée pour protéger l’exercice du mandat parlementaire pendant la session. Une simple correspondance du président de l’Assemblée nationale, dépourvue de valeur normative, ne suffirait pas. Cette exigence garantit que la demande de suspension reflète une décision collégiale, et non une initiative individuelle. Toutefois, même une résolution ne garantit pas une suspension automatique : le juge peut évaluer sa recevabilité, en tenant compte de l’indépendance judiciaire et de l’intérêt public.
Une immunité à interpréter strictement
L’inviolabilité parlementaire en RDC n’est donc pas une immunité absolue. Les exceptions prévues par l’article 107 – flagrant délit, poursuites autorisées, condamnation définitive – montrent que le Constituant a voulu limiter son champ d’application. La distinction entre poursuites et jugement, implicite dans le premier alinéa, renforce cette lecture restrictive : un député en procès pénal ne peut se retrancher derrière son immunité pour échapper au jugement, surtout si les poursuites ont débuté avant son élection.
Ainsi, la thèse selon laquelle l’inviolabilité permet à un député de suspendre un procès pénal en cours est juridiquement infondée. L’article 107, en distinguant poursuites et jugement, limite l’inviolabilité aux actes préalables à la saisine et aux mesures coercitives. Seule une résolution votée par l’Assemblée nationale peut, dans des cas exceptionnels, demander une suspension temporaire d’un procès, sans pour autant paralyser l’action judiciaire. Cette clarification rappelle que, en RDC, nul n’est au-dessus de la loi, pas même un parlementaire.
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