C’est une gifle infligée à la justice, un bras d’honneur au principe de séparation des pouvoirs, et un aveu glaçant : sous Vital Kamerhe, l’administration de l’Assemblée nationale semble avoir basculé dans le camp de ceux qui entravent l’État de droit. La fuite méthodiquement orchestrée d’une correspondance confidentielle adressée au président de la Cour constitutionnelle, en pleine affaire Bukanga-Lonzo, ne relève ni de la maladresse ni de l’amateurisme. C’est un acte politique délibéré, conçu pour peser sur une procédure judiciaire et protéger un ancien Premier ministre face à la justice de son pays. Quand le cœur du pouvoir législatif devient l’outil silencieux de l’impunité, c’est toute l’architecture républicaine qui vacille. Et c’est le peuple congolais, une fois encore, que l’on trahit.
La fuite d’une correspondance confidentielle du président de l’Assemblée nationale dans l’affaire Bukanga-Lonzo révèle une dérive inquiétante au cœur même de l’institution parlementaire.
Une lettre, quelques tampons… et un scandale. En l’espace de quelques heures, une correspondance confidentielle du président de l’Assemblée nationale adressée au président de la Cour constitutionnelle dans l’affaire emblématique du détournement présumé des fonds alloués au parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo s’est retrouvée, dans son intégralité, sur les réseaux sociaux. La fuite, désormais virale, pose une question de fond : l’administration de l’Assemblée nationale est-elle devenue l’arme occulte de la protection des puissants ?
Une fuite qui ne laisse aucun doute sur sa provenance
Le document, estampillé de la mention « A/R » – accusé de réception – ainsi que des cachets officiels de plusieurs institutions auprès desquelles la lettre a été déposée, ne laisse que peu de place à l’interprétation. C’est bien depuis les services de l’Assemblée nationale que la fuite est survenue. La chronologie des dépôts, la rigueur des mentions manuscrites et l’authenticité des tampons désignent une origine interne et volontaire, autrement dit : une opération politique maquillée en simple transmission administrative.
Dans un contexte où la justice tente laborieusement de faire son travail face à d’anciens dignitaires du régime accusés de graves malversations financières, la divulgation d’un tel document, au contenu potentiellement de nature à influencer l’opinion publique et même la perception des magistrats, ne peut être traitée à la légère.
Administration détournée ?
S’agit-il d’une défaillance administrative ou d’un acte prémédité ? La question mérite d’être posée, et plus encore, d’être instruite. Car si l’hypothèse d’une légèreté dans le traitement des documents sensibles est grave, celle d’une exploitation délibérée de l’appareil administratif à des fins politiques l’est davantage.
Dans les deux cas, une chose est claire : le rôle de l’Assemblée nationale comme institution de régulation et de contrôle démocratique est dévoyé. Lorsque l’administration parlementaire devient une courroie de transmission pour influencer les procédures judiciaires, pour orienter les débats ou pour voler au secours des présumés détourneurs des deniers publics, elle trahit non seulement l’esprit de la Constitution, mais aussi le peuple congolais, au nom duquel elle est censée exercer.
Une récidive troublante !
Cette situation, choquante à bien des égards, n’est pas sans rappeler des précédents malheureux. Dès le début du premier mandat du président Félix Tshisekedi, plusieurs documents confidentiels de la Présidence de la République avaient fuité, créant un climat délétère au sommet de l’État. Coïncidence troublante : Vital Kamerhe à l’époque, dirigeait l’administration présidentielle en tant que directeur de cabinet.
En mai 2020, face à l’ampleur de ces fuites répétées, le gouvernement avait dû instruire la justice de sévir contre la publication illégale de documents officiels sur les réseaux sociaux. Cette décision fut saluée comme un pas vers une gouvernance plus rigoureuse. Cinq ans plus tard, le même mal ronge à nouveau l’administration, cette fois au sein du Parlement.
Une impunité entretenue à huis clos
Peut-on impunément transformer les bureaux de l’Assemblée nationale en caisse de résonance pour les causes individuelles, fussent-elles portées par d’anciens Premiers ministres ? Peut-on détourner la neutralité administrative pour servir les intérêts d’un homme qui refuse de répondre à la justice ? La gravité de la démarche exige plus qu’un simple rappel à l’ordre.
Derrière ce scandale administratif, se dessine une réalité plus sombre : celle des logiques de réseaux et de protection réciproque prévalent sur l’exigence de transparence et de redevabilité. Si rien n’est fait pour y mettre un terme, l’Assemblée nationale risquerait de perdre sa crédibilité déjà vacillante auprès d’une opinion publique lassée des postures sans effet et des discours de moralisation sans lendemain.
Une rupture nécessaire
Il est temps de rompre avec une culture d’impunité qui s’enracine par les complicités invisibles de l’intérieur. Si l’actuel bureau de l’Assemblée nationale veut se montrer à la hauteur de ses responsabilités, elle doit diligenter une enquête interne, établir les responsabilités, et sanctionner les auteurs de cette fuite, quels qu’ils soient.
Tout manquement à cette exigence équivaudra à une caution tacite. Et dans ce cas, l’histoire retiendra que sous Vital Kamerhe, l’administration du Parlement aura choisi son camp : celui de l’impunité.
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