Dans le vacarme politique d’une République en quête de repères, la voix de Serge Mayamba tranche par sa constance et sa lucidité. Ancien cadre de l’UDPS et témoin vigilant des métamorphoses démocratiques de la RDC, cet intellectuel exigeant jette un regard sans concession sur le retour en scène de Joseph Kabila et les convulsions stratégiques qui traversent l’opposition congolaise. Dans un contexte troublé où les ambitions personnelles s’entrecroisent avec l’urgence nationale, Serge Mayamba lit, avec rigueur, la posture de l’ancien président et la proposition l’opposant Martin Fayulu pour sauvegarder la République. Pour lui, l’activisme de Kabila n’est pas celui d’un chef rebelle, mais d’un survivant politique en quête de réhabilitation. Et face au rejet de l’appel de Fayulu à un « camp de la patrie », il plaide pour une coalition de salut républicain, au-delà des égos, des rancunes et des calculs. Une leçon de lucidité, dans un paysage miné par les affects et les confusions.
Esprit fin, observateur averti et méticuleux dans ses analyses, Serges Mayamba fait partie de cette génération, qui n’existe plus, de l’UDPS qui faisait rêver. Tant par l’ampleur de ses convictions politiques et de son engagement aux côtés d’Étienne Tshisekedi wa Mulumba que par la pertinence de ses interventions. Face aux foisonnements des faits et à leur complexité, celui que l’Université de Kinshasa de vers fin 1990 avait surnommé « Lumumba », en raison de sa lutte constante en faveur de l’avènement et la progression de la démocratie au pays de Lumumba, adore ne pas faire dans la dentelle. Offrant directement, à qui veut l’entendre, des clés de compréhension qui détonnent des lieux communs, faits de ressentiments, de passions tristes et d’émotions ténébreuses.
C’est à cet exercice donc qu’il s’est livré, au sujet de récents développements de l’actualité politique en RDC, où Joseph Kabila, après sa sortie médiatique faite de menaces et remontrances à l’encontre de son successeur, a dépêché son missi dominici à Washington pour soi-disant freiner la signature du deal minier entre les USA, la RDC et le Rwanda, prévue à ce mi-juin. Et où Martin Fayulu, furieux du rapprochement « incestueux » entre l’ancien président de la RDC et le mouvement insurrectionnel soutenu par Kigali, s’est rapproché de Félix Tshisekedi, sur fond d’une proposition portant création d’un camp dit de la patrie. Proposition vite rejetée par une bonne frange de l’opposition, en raison notamment de sa vision manichéenne, alors que c’est l’unité de tous que l’on souhaite pour résoudre durablement le drame de l’Est de la RDC. Comment comprendre l’activisme de Kabila et l’attitude actuelle de Martin Fayulu ?
L’affirmation semble trop osée, dans cet environnement mouvant, où tout bouge, change rapidement, remplacé par une autre réalité tout autant éphémère, elle aussi. Mais Maître Serge Mayamba, lui, tient dur comme fer à ses convictions.
À propos de l’activisme de l’ancien président de la République démocratique du Congo, le député honoraire persiste et signe que ce dernier n’est tout simplement que dans une logique de survie. Ni plus ni moins !
Dans un entretien à bâtons rompus dans sa résidence de Lemba, celui qui fit trembler le régime de Kabila père, à travers une manifestation estudiantine qui est restée dans les annales, estime que Joseph Kabila n’est en rien un chef rebelle, encore moins le parrain de la rébellion coalisée de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) et Mouvement du 23 Mars (M23).
« Lorsqu’on examine ses différentes prises de parole, notamment à Goma et depuis sa sortie médiatique, on se rend vite compte que Joseph Kabila ne se présente pas comme un vrai chef rebelle mais plutôt comme un acteur de premier plan. Ce qui indique clairement qu’il est tout simplement dans une logique de positionnement dont l’objectif consiste à se présenter comme une solution aux problèmes sécuritaires qui se posent dans la partie orientale du pays, et non comme un problème », explique celui qui avait été mandataire de feu Étienne Tshisekedi à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) lors de la présidentielle de 2011.
« Accusé d’être en collusion avec l’AFC… »
Pour en arriver là, Serge Mayamba s’est appuyé sur deux observations. D’une part, le fait que Kabila ait été accusé d’être en collusion avec l’AFC-M23, ce qui éroderait davantage le peu d’estime dont il commence à jouir du fait de la gouvernance moins reluisante des gouvernants actuels, et, d’autre part, le fait d’être pratiquement gommé par les leaders dudit mouvement insurrectionnel, qui sont aujourd’hui en position de négocier directement avec Kinshasa, et cela dans une logique de parfaite égalité. À cela s’ajoute une autre considération, de moindre importance mais non moins dénuée de pertinence, à savoir : le statut pratiquement de persona non grata de Joseph Kabila auprès des puissances occidentales, lesquelles ne voudraient certainement pas l’avoir comme exilé politique. Influençant en cela d’autres États qui aimeraient conserver leurs relations de confiance avec l’actuel régime.
Pour l’ancien élu de la Tshangu, ce sont donc ces situations qui ont obligé celui que d’aucuns ont surnommé le Raïs à se relancer dans l’arène, aidé en cela par l’imprudence stratégique de Kinshasa qui a pris une décision émotionnelle de lever ses immunités de sénateur à vie. « C’est un combat qui n’a pas de fond, au fait. En réalité, Joseph Kabila ne veut tout simplement pas connaître le sort d’Étienne Tshisekedi à Sun City (Ndlr : en Afrique du Sud lors de négociations qui devaient mettre un terme à la partition de fait de la RDC), qui était sorti de la logique des composantes, effacé mais sans disparaître. Ce qui risque de ne pas être le cas avec l’ancien président, au cas où le leadership irait ailleurs », en l’occurrence vers ceux qui détiennent des armes. Félix Tshisekedi ne traitant déjà qu’avec eux, explique-t-il.
Banni injustement par l’actuel directoire du parti présidentiel, l’ancien secrétaire national de l’UDPS/Tshisekedi en charge des relations avec les formations politiques et associations n’exprime pas moins sa volonté d’aider les bénéficiaires de la longue lutte de ce parti historique, les conseiller utilement afin qu’ils ne se laissent mener par leur adversaire.
« Kabila mène une guerre psychologique. Il veut impressionner, à la limite, susciter des doutes dans le chef de ceux qui gouvernent et qui sont ses adversaires. Ce combat peut également se répercuter au niveau de la population et des forces vives de la Nation qui ne sont plus déjà en odeur de sainteté avec les gouvernants », leur enseigne-t-il. Ajoutant que des attaques, des réactions épidermiques contre ses propos ne constituent nullement la solution. « Ce qu’il faut, c’est scruter le fond stratégique de son discours, de ses actes, ressortir ses objectifs pour finalement bien savoir comment le contrer », suggère-t-il. Avant d’aborder la problématique soulevée par la proposition du leader de Lamuka.
« … Une vision court-termiste »
Ce dernier s’est déjà vu réserver une fin de non-recevoir à sa proposition de création d’un camp de la patrie, par ses pairs de l’opposition. « Il y a lieu de considérer que ceux qui se sont précipités à critiquer l’appel de Fayulu ont une vision simplement court-termiste », réagit Mayamba, pensant que le leader de Lamuka est plutôt « dans une approche futuriste de prévention et de préservation ». Dans ce sens qu’à travers cette initiative, il cherche à prévenir l’instabilité permanente qui colle à la RDC et préserver les acquis, dont le principal « est cette république au prix d’innombrables sacrifices ». « Et la réussite de ce combat, estime Mayamba, dépend de la capacité de chaque acteur à s’oublier au profit de la République ». Et cela devrait passer par la création d’un bloc unitaire et transpartisan, lequel fera de Félix Tshisekedi « un président de la République et non un président d’une République », systématise-t-il. Sans blague.
Infos27/Papy Mumputu