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24 mai, 2025 - 00:08:02
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Crise dans l’Est : Kabila propose une issue sans jamais désigner les responsables

Joseph Kabila se rêve en sauveur d’une République démocratique du Congo qu’il a pourtant contribué à fragiliser. Proposant douze mesures pour sortir le pays de l’« impasse », l’ancien président dénonce un climat autoritaire, appelle à la restauration de la démocratie, à la fin de la guerre, au retrait des troupes étrangères et à la neutralisation des groupes armés. Une posture de redresseur de torts qui intrigue, voire irrite, tant elle entre en contradiction avec son propre passé à la tête du pays : atteintes aux libertés, élections truquées, inertie face aux groupes armés, et gestion autoritaire du pouvoir. Plus dérangeant encore, son mutisme total sur l’agression rwandaise, les exactions du M23/AFC et les souffrances des populations civiles congolaises. Kabila condamne les Wazalendo, critique les FDLR, mais ne dit mot des responsables pourtant identifiés du chaos à l’Est. Pire, il salue le retrait des troupes régionales venues prêter main-forte aux FARDC. Ce double langage, ajouté au timing de son intervention – 24 heures après la levée de son immunité parlementaire dans une affaire de collusion avec les rebelles – laisse planer le doute sur ses intentions réelles. Derrière les grands principes affichés, cette sortie ressemble moins à un appel désintéressé à l’unité nationale qu’à une manœuvre calculée de réhabilitation personnelle.

Dans un discours soigné, Joseph Kabila a appelé au « sursaut national » et proposé une série de douze mesures pour, dit-il, sortir la RDC de l’« impasse ». Parmi ces mesures : la fin de la « dictature », le rétablissement de la démocratie, la relance du développement, le retrait des troupes étrangères et la neutralisation des groupes armés. Une feuille de route ambitieuse, presque idéaliste — mais qui fait écho à des principes que son propre pouvoir (2001-2019) n’a jamais pleinement garantis.

Le paradoxe du moralisateur

Ce qui frappe d’emblée, c’est la tonalité moralisatrice d’un ancien chef de l’État dont le règne fut marqué par des atteintes récurrentes aux libertés, des scrutins controversés, des répressions de manifestations, et un glissement institutionnel prolongé de deux ans (2016-2018) sans élections. Kabila dénonce aujourd’hui un « climat autoritaire croissant » et exige la fin de la guerre à l’Est, mais ces maux remontent bien avant la présidence Tshisekedi.

Durant ses dix-huit ans au pouvoir, ni la restauration de l’autorité de l’État, ni la neutralisation des groupes armés, ni la relance économique durable n’ont été au rendez-vous. L’Est du pays, particulièrement le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l’Ituri, sont restés le théâtre de violences endémiques, de prédation minière, et de gouvernance déliquescente.

Une étrange cécité sélective

Plus encore, cette sortie de Joseph Kabila étonne par ses absences les plus lourdes de sens. Pas une seule fois l’ancien président n’a nommé le Rwanda. Aucun mot sur l’agression militaire avérée menée par Kigali, pourtant documentée par des rapports onusiens et condamnée par plusieurs chancelleries. Aucun mot non plus pour les milliers de victimes civiles, déplacées ou tuées par les exactions du M23/AFC, soutenu militairement par l’armée rwandaise.

Ce silence tranche avec la virulence des critiques qu’il adresse aux Wazalendo (groupes d’autodéfense populaire) et aux FDLR, les forces démocratiques de libération du Rwanda, présentes depuis deux décennies sur le sol congolais. Une posture qui, pour nombre d’observateurs, laisse entrevoir un alignement trouble, voire une tentative de dédouanement implicite du principal agresseur extérieur du pays.

Il salue d’ailleurs le retrait des forces de la SADC (notamment les troupes sud-africaines et tanzaniennes), pourtant déployées sous mandat pour contenir la progression des rebelles. Une position qui pourrait s’apparenter à une manière déguisée d’affaiblir la défense nationale face au M23.

Une adresse calculée ?

Le timing de cette intervention interroge également. Elle intervient 24 heures après la levée de son immunité parlementaire par le Sénat, une décision prise dans le cadre d’une enquête ouverte sur de présumées connexions entre l’ancien président et le mouvement rebelle AFC/M23. Dans ce contexte, la posture de Joseph Kabila sonne autant comme une contre-offensive politique que comme un plaidoyer pour la paix.

Mais à qui s’adresse-t-il ? Certainement pas aux victimes, que son discours ignore superbement. Ni aux déplacés internes, ni aux femmes violées, ni aux enfants enrôlés de force par les groupes armés. En évitant soigneusement de nommer les responsables réels du conflit, Kabila se positionne non pas en arbitre impartial, mais en acteur intéressé d’un jeu politique régional dont les contours restent à éclaircir.

Une tentative de réhabilitation ?

Pour certains analystes, cette sortie sonne comme une tentative de réhabilitation politique, voire de repositionnement en période de crise profonde du régime Tshisekedi. Joseph Kabila cherche à réactiver une stature d’homme d’État, d’ancien chef providentiel. Mais le décalage entre son propos et son propre bilan rend l’exercice peu crédible, voire cynique.

Reste une conclusion que chacun est libre de tirer : lorsqu’un ancien président élude les exactions d’un pays voisin, ignore les souffrances de ses compatriotes, mais vilipende les seules forces populaires de résistance et les armées alliées, l’équation géopolitique se clarifie peut-être plus par ce qu’il tait que par ce qu’il dit.

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