C’est un moment de bascule dans l’histoire politique congolaise. Ce 30 avril 2025, la République démocratique du Congo a franchi un seuil inédit : pour la première fois, un ancien président est officiellement visé par une demande de levée d’immunité parlementaire en vue de poursuites pour trahison, participation à un mouvement insurrectionnel, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’annonce faite par le ministre de la Justice, Constant Mutamba, visant Joseph Kabila Kabange, sénateur à vie et figure centrale de l’appareil sécuritaire pendant près de deux décennies, résonne comme un coup de tonnerre dans un pays encore meurtri par les violences de l’Est. Le gouvernement accuse l’ex-chef de l’État d’être un acteur direct de la tragédie qui ensanglante les Kivu, allant jusqu’à le désigner comme cofondateur de l’AFC/M23, nouvelle façade d’un groupe rebelle responsable d’atrocités documentées. Au-delà de l’onde de choc judiciaire, c’est tout un édifice politique qui vacille. Ce geste de rupture, à la fois audacieux et risqué, interroge : justice ou manœuvre ? Dans une RDC en quête de stabilité et de souveraineté, le procès de Joseph Kabila – s’il a lieu – s’annonce comme un acte de clarification.
C’est une première dans l’histoire politique de la République démocratique du Congo : l’ancien président Joseph Kabila, au pouvoir de 2001 à 2019, est désormais dans le viseur de la justice de son pays. Le garde des Sceaux, Me Constant Mutamba, a révélé que l’auditeur général des Forces armées de la RDC (FARDC) a officiellement saisi le bureau du Sénat pour demander l’autorisation de poursuites judiciaires contre M. Kabila, en sa qualité de sénateur à vie.
« Il y a des preuves tangibles et irréfragables de sa participation directe aux massacres et crimes qui sont perpétrés quotidiennement dans la partie Est du pays, notamment dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu », a déclaré le ministre au cours d’un point de presse exceptionnel. Il évoque une « injonction » adressée à la justice militaire, en réponse à des éléments probants recueillis sur le terrain.
Une procédure sans passage par le Congrès
Le ministre de la Justice a précisé que les faits reprochés à M. Kabila « ne se sont pas produits pendant qu’il était chef de l’État ». En conséquence, selon l’interprétation juridique du gouvernement, il n’est pas nécessaire de réunir le Congrès — l’assemblée conjointe des deux chambres du Parlement — pour engager la procédure. Le Sénat seul est compétent pour statuer sur la levée de l’immunité du sénateur à vie.
« Nous attendons du Sénat la levée pure et simple ainsi que l’autorisation des poursuites », a insisté Me Mutamba. Cette demande s’inscrit dans un contexte politique et sécuritaire particulièrement tendu, alors que l’est du pays reste ravagé par des violences attribuées à des groupes armés, dont le M23, soutenu par le Rwanda.
Kabila accusé de cofondation de l’AFC/M23
Le dossier judiciaire qui vise l’ancien président l’accuse notamment d’être le « cofondateur de l’AFC/M23 », une organisation politico-militaire active dans les Kivu. Cette branche, que les autorités présentent comme une réincarnation du Mouvement du 23 mars, est à l’origine d’une série de violences documentées par les Nations unies et plusieurs ONG, impliquant exécutions sommaires, déplacements forcés et violences sexuelles.
Les accusations portées contre Joseph Kabila, après la victoire de Félix Tshisekedi lors de la présidentielle de 2018, constituent un séisme institutionnel. Longtemps figure tutélaire de l’appareil sécuritaire et politique congolais, sa mise en cause pourrait rebattre durablement les cartes au sein de la scène nationale.
Un tournant judiciaire sans précédent
Si le Sénat venait à autoriser les poursuites, ce serait la première fois qu’un ancien chef de l’État congolais serait jugé pour des crimes aussi graves. Jusqu’à présent, aucune figure de ce rang n’avait fait l’objet d’une procédure judiciaire d’une telle ampleur dans le pays.
L’annonce de cette démarche pourrait également avoir des répercussions politiques majeures. Les soutiens de l’ancien président au sein de la classe politique risquent de voir leur position affaiblie dans les mois à venir.
Joseph Kabila, qui n’a pas encore réagi officiellement à cette annonce, pourrait désormais être contraint de sortir du silence qu’il observe depuis plusieurs mois.
Le M23, l’AFC et les nouvelles lignes de fracture dans l’est de la RDC
Le Mouvement du 23 mars (M23) est une rébellion majoritairement tutsi apparue en 2012 dans l’Est de la République démocratique du Congo. Fondé par d’anciens membres du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), lui-même soutenu à l’époque par Kigali, le M23 s’était initialement soulevé contre le gouvernement de Kinshasa au nom du non-respect d’un accord de paix signé le 23 mars 2009. Après avoir brièvement occupé Goma, capitale du Nord-Kivu, le groupe avait été repoussé en 2013 par une offensive conjointe de l’armée congolaise et de la brigade d’intervention de l’ONU.
Réapparu avec force fin 2021, le mouvement a été accusé de nouveaux crimes graves : massacres de civils, viols, pillages, enrôlement d’enfants, et contrôle de zones minières stratégiques. Les autorités congolaises affirment disposer de preuves du soutien actif du Rwanda, ce que Kigali continue de nier.
En 2023, plusieurs sources ont signalé l’émergence d’une nouvelle coalition rebelle appelée AFC (Alliance Fleuve Congo), que Kinshasa qualifie aujourd’hui de vitrine politique du M23. Selon le ministre de la Justice, Joseph Kabila serait l’un des cofondateurs de cette entité, dont les ramifications militaires continueraient d’alimenter l’instabilité chronique dans les Kivu.
Les Nations unies et plusieurs ONG internationales ont confirmé que des éléments du M23/AFC sont responsables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, notamment dans les territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo, zones aujourd’hui au cœur de la procédure judiciaire visant l’ancien chef de l’État.
Infos27