Le débat tenu mercredi 7 mai 2025 à l’Assemblée nationale, à la suite de la motion incidentielle du député Alfred Dibandi, a mis en lumière de profondes divergences quant à l’interprétation des dispositions constitutionnelles relatives aux immunités parlementaires. Au centre de la controverse : la procédure engagée par la Cour constitutionnelle contre le député national et ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, poursuivi pour sa gestion du projet avorté du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo. Estimant que la haute juridiction avait « outrepassé » ses prérogatives en lançant des poursuites contre un parlementaire bénéficiant d’une immunité, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a proposé d’initier une démarche de clarification auprès du président de la Cour, Dieudonné Kamuleta. Une position jugée précipitée et juridiquement discutable par plusieurs élus.
C’est dans ce contexte que le député Daniel Aselo, juriste de formation et ancien ministre de l’Intérieur, est intervenu pour rappeler, avec fermeté et mesure, les limites que la Constitution impose au pouvoir législatif dans les affaires pendantes devant la justice. Il a appelé Kamerhe à s’appuyer sur des avis juridiques sérieux, afin d’éviter toute confusion entre protection parlementaire et obstruction judiciaire. Son intervention, saluée en coulisses mais peu relayée dans l’hémicycle, sonne comme un rappel salutaire à l’indépendance de la justice et au principe de séparation des pouvoirs, à l’heure où certains parlementaires semblent tentés de substituer la solidarité politique à la rigueur constitutionnelle.
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L’analyse approfondie ci-dessous des dispositions constitutionnelles et des éléments du dossier, faite par un député ayant requis l’anonymat pour éviter toute personnalisation du débat, tend à éclairer la complexité de cette affaire et à prévenir toute interprétation hâtive ou erronée.
1. Inapplicabilité des immunités parlementaires à une affaire pendante
Il est soutenu que la Cour constitutionnelle aurait outrepassé les immunités parlementaires de Matata Ponyo, exposant ainsi un député à des poursuites injustifiées. Cette position reflète une mauvaise interprétation des contours des immunités parlementaires.
Article 107 de la Constitution : Les immunités parlementaires protègent contre l’initiation de poursuites ou une arrestation sans autorisation de l’Assemblée nationale (pendant les sessions) ou de son Bureau (en dehors des sessions), sauf en cas de flagrant délit, de poursuites déjà autorisées ou de condamnation définitive. Or, dans l’affaire Matata Ponyo, les poursuites ont été engagées alors qu’il était sénateur, avec une autorisation obtenue du Bureau du Sénat, comme l’indique la correspondance du Président de la Cour constitutionnelle. L’affaire étant déjà pendante devant la Cour avant l’élection de l’Honorable Matata comme député, les immunités ne peuvent être invoquées pour bloquer la phase juridictionnelle (jugement), celles-ci étant limitées à la phase préjuridictionnelle (instruction, arrestation).
Position de la Cour constitutionnelle : La lettre du Président Dieudonné Kamuleta, adressée au Président Kamhere, précise que l’affaire était en cours avant l’élection de l’Honorable Matata comme député. Cette pendance antérieure dispense la Cour de solliciter une nouvelle autorisation parlementaire, conformément à l’article 151 de la Constitution, qui interdit au pouvoir législatif de s’immiscer dans un différend juridictionnel en cours. Toute tentative d’exiger une nouvelle autorisation violerait ce principe fondamental.
2. Inadéquation des références aux cas Salomon Kalonda et Donald Trump
La référence aux cas Salomon Kalonda et Donald Trump, invoquée pour soutenir l’idée que les immunités du député national Matata auraient dû être respectées, est juridiquement inappropriée.
Cas Salomon Kalonda : La Haute Cour militaire s’est déclarée incompétente après la validation du mandat de sénateur de Salomon Kalonda, certes. Or, l’affaire Matata Ponyo est jugée par la Cour constitutionnelle, compétente pour statuer sur les infractions commises par un ancien Premier ministre dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions (articles 99 et 164). Située au sommet de la pyramide juridictionnelle congolaise pour ce type d’affaires, la Cour constitutionnelle n’est pas liée par les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire, comme la Haute Cour militaire. Cette distinction est essentielle.
Cas Donald Trump : La référence à Donald Trump est encore moins pertinente. Les poursuites contre l’ancien Président américain relèvent du système juridique des États-Unis, qui ne prévoit pas d’immunités parlementaires similaires à celles de la RDC. De plus, Trump n’était pas parlementaire, mais un ancien chef d’État. Cette analogie est donc dénuée de fondement juridique dans le contexte congolais.
3. Compétence de la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle affirme sa compétence pour juger Matata Ponyo, ancien Premier ministre, sur la base des articles 99 et 164 de la Constitution :
Article 99, dernier alinéa : La Cour est compétente pour juger les infractions liées au patrimoine d’un ancien Premier ministre, telles que la non-déclaration ou l’enrichissement sans cause, dans les 30 jours suivant la fin de ses fonctions. Une interprétation extensive inclut des infractions connexes, comme le détournement de deniers publics.
Article 164 : La Cour est le juge pénal du Premier ministre (et, par extension, de l’ancien Premier ministre) pour des infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions, qu’il s’agisse d’infractions politiques ou de droit commun. Le statut actuel de député de l’Honorable Matata n’affecte pas cette compétence.
En tant que juge de sa propre compétence, la Cour n’a pas à solliciter une nouvelle autorisation parlementaire pour une affaire déjà pendante. Son indépendance, garantie par l’article 149 de la Constitution, la protège contre toute interférence législative, conformément à l’article 151.
4. Rôle du parquet et absence de nécessité d’une nouvelle autorisation
L’idée qu’une nouvelle autorisation parlementaire serait requise pour la phase juridictionnelle est erronée :
Dessaisissement du parquet : La correspondance du Président de la Cour indique que le parquet s’est dessaisi du dossier dès la saisine de la Cour par une requête de fixation d’audience. À ce stade, la phase juridictionnelle est engagée, et le parquet n’a plus de rôle actif. Exiger une nouvelle autorisation serait contraire aux règles de procédure.
Caractère général de la levée des immunités : La levée des immunités obtenue lorsque l’Honorable Matata était sénateur était générale, couvrant l’ensemble des poursuites liées aux faits reprochés. Cette autorisation reste valide après son élection comme député, car elle n’est pas limitée à une infraction spécifique ou à une période parlementaire donnée.
5. Pertinence de l’intervention du député Daniel Aselo
Il est évident qu’une frange de députés méconnaît les contours juridiques de cette question, et c’est ce que l’intervention du député national Daniel Aselo a cherché à corriger. Sa position, bien que mal accueillie par une partie de la plénière, est juridiquement fondée. En tant que Président de l’Assemblée nationale, il est inapproprié pour Vital Kamerhe de s’immiscer dans une affaire judiciaire en cours, au risque de violer l’article 151 de la Constitution, qui interdit au pouvoir législatif de statuer sur des différends juridictionnels ou de s’opposer à l’exécution d’une décision de justice. La proposition de rencontrer le Président de la Cour constitutionnelle pour « obtenir des explications » pourrait être perçue comme une tentative d’influence sur une juridiction indépendante, ce que le député national Aselo a justement mis en garde en recommandant une consultation juridique préalable.
En sommes, l’argumentaire selon lequel la Cour constitutionnelle aurait « bypassé » les immunités de Matata Ponyo repose sur une mécompréhension des règles constitutionnelles. Les points suivants doivent être retenus :
- Les immunités parlementaires ne s’appliquent pas à une affaire déjà pendante devant la Cour constitutionnelle, comme l’indique la correspondance du Président Kamuleta.
- Les références aux cas Salomon Kalonda et Donald Trump sont inappropriées, car elles ne reflètent ni la compétence de la Cour constitutionnelle ni sa position prépondérante dans la pyramide juridictionnelle congolaise.
- La Cour constitutionnelle est compétente pour juger l’Honorable Matata, ancien Premier ministre, sur la base des articles 99 et 164, sans nécessité d’une nouvelle autorisation parlementaire.
- L’intervention de l’Honorable Aselo constitue un rappel nécessaire des principes de séparation des pouvoirs, et toute tentative de l’Assemblée nationale d’interférer dans ce dossier violerait l’article 151.