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22 mai, 2025 - 22:16:16
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Affaire Prison de Kisangani : un virement de 19,9 millions USD met Mutamba en accusation

Accusé de détournement de près de 20 millions de dollars dans un marché public entaché d’irrégularités, le ministre d’État à la Justice, Constant Mutamba, se retrouve dans la ligne de mire d’une justice congolaise qui semble, enfin, décidée à secouer l’impunité des hautes sphères de l’État. Moins de vingt-quatre heures après la condamnation retentissante de l’ancien Premier ministre Matata Ponyo, la requête adressée à l’Assemblée nationale pour autoriser l’instruction du ministre en fonction marque un tournant. Longtemps perçue comme démissionnaire face aux abus des élites, la justice de la République démocratique du Congo donne des signes de réveil. L’affaire Mutamba, au-delà de ses implications judiciaires, interroge sur le sérieux des réformes de gouvernance, la gestion opaque des fonds publics et la volonté réelle des institutions de rompre avec la culture de l’impunité. Une justice qui ose défier l’un de ses propres gardiens, c’est tout un symbole.

La saisine de l’Assemblée nationale pour autoriser l’instruction du ministre d’Etat en charge de la Justice, Constant Mutamba, dans une affaire de détournement présumé de près de 20 millions de dollars, marque un nouveau tournant dans l’activisme judiciaire en RDC.

Après des années de critiques sur son inertie et sa perméabilité à la corruption, la justice congolaise semble retrouver des couleurs. Vingt-quatre heures seulement après la condamnation historique de l’ancien Premier ministre Matata Ponyo dans l’affaire du parc agroindustriel de Bukanga Lonzo, c’est désormais un ministre en fonction, et non des moindres, qui se retrouve dans le collimateur de la justice : Constant Mutamba Tungunga, ministre d’État, ministre de la Justice et Garde des Sceaux.

Mercredi 21 mai, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a annoncé en plénière avoir été saisi par le procureur général près la Cour de cassation d’une requête visant à obtenir l’autorisation d’instruire à charge du ministre Mutamba. Ce dernier est soupçonné de détournement de fonds publics à hauteur de 19,9 millions de dollars, destinés à la construction d’un complexe carcéral à Kisangani, dans la province de la Tshopo.

Un marché gré à gré entaché d’irrégularités

Selon la lettre du procureur, dont le contenu a été lu en séance plénière de l’Assemblée nationale, l’affaire trouve son origine dans un contrat signé le 14 avril 2025 entre le ministère de la Justice et la société Zion Construction pour la construction d’un établissement pénitentiaire de trois niveaux à Kisangani. Le marché, conclu de gré à gré pour un montant de 29 millions de dollars hors taxes, devait être financé par des fonds publics.

Dès le 16 avril, soit deux jours seulement après la signature du contrat, un virement de 19,9 millions de dollars a été ordonné par le ministre Mutamba vers un compte nouvellement ouvert par Zion Construction à la Rawbank. Le problème : cette transaction aurait été effectuée en violation de plusieurs étapes obligatoires du manuel de procédure des marchés publics. Notamment, aucun avis de non-objection de la Direction générale de contrôle des marchés publics (DGCMP) ni aucune approbation de la Première ministre n’auraient été obtenus avant le décaissement des fonds.

Des fonds destinés aux victimes des guerres oubliées

Plus grave encore, les fonds transférés provenaient d’un compte alimenté par l’Ouganda dans le cadre de la condamnation infligée par la Cour internationale de justice en 2022, au titre de réparations pour les exactions commises lors du conflit ayant opposé les troupes ougandaises et rwandaises à Kisangani entre 1999 et 2003. Ces indemnités, d’un montant global de 325 millions de dollars, sont censées être gérées par un organisme public, le Fonds spécial de réparation et d’indemnisation aux victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC (FRIVAO).

Le virement de près de 20 millions de dollars à une société peu connue – créée seulement en mars 2024 avec un capital de 5 000 dollars – soulève ainsi des interrogations non seulement sur la régularité de la procédure, mais aussi sur l’opportunité de détourner des fonds destinés à la réparation de victimes civiles.

Un ministre qui dénonçait lui-même les détournements

Ironie de l’affaire : Constant Mutamba s’était jusque-là illustré par des sorties virulentes contre la corruption dans le secteur carcéral. En août 2024, lors d’une visite à Kisangani, il avait suspendu la directrice de la prison centrale de la ville pour des malversations similaires. Il avait aussi lancé une enquête sur un autre détournement de 5 millions de dollars liés à la construction d’une prison à Kinshasa, entraînant l’arrestation de Bernard Takaishe, son ancien vice-ministre.

Aujourd’hui, c’est lui qui est confronté à une procédure judiciaire inédite pour un ministre en poste dans le gouvernement Judith Suminwa. La demande d’autorisation d’instruction adressée à l’Assemblée marque une étape cruciale : pour être poursuivi, Constant Mutamba doit d’abord être formellement autorisé par la Chambre basse, conformément aux dispositions sur les immunités des membres du gouvernement.

Une justice en éveil ?

Pour de nombreuses voix de la société civile, ce geste du parquet général symbolise un réveil bienvenu de la justice congolaise. L’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) a salué une « avancée dans l’indépendance de la justice » et un signal fort envoyé dans la lutte contre l’impunité des élites politiques.

Mais le camp Mutamba, lui, crie au complot. Ses proches dénoncent un « règlement de comptes » de la part de magistrats véreux que le ministre aurait voulu assainir depuis son arrivée à la tête du ministère. Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montre d’ailleurs la lecture intégrale, en plénière, de la lettre du procureur, alimentant les spéculations sur une mise en scène orchestrée pour fragiliser le ministre.

Une mise à l’épreuve politique et institutionnelle

Quelles que soient les motivations derrière la procédure, le dossier Mutamba cristallise une tension croissante entre volonté de réformes et résistances internes. Il illustre également la complexité du chantier judiciaire en RDC, où les institutions doivent encore prouver qu’elles sont capables de poursuivre les puissants sans céder à la tentation de l’arbitraire politique.

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